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Cindy Sherman par –Eva Respini

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A l’occasion de la rétrospective événement qui a lieu en ce début d’année au MoMA de New York, Eva Respini, conservatrice de l’exposition, livre une analyse de l’œuvre de Cindy Sherman. De son approche à ses influences, retour sur une vision contemporaine unique.

Au premier abord, les photographies de Cindy Sherman peuvent être perçues comme des autoportraits. Vous écrivez qu’ils ne le sont pas, pourquoi ?

Eva Respini : Elle est à la fois son propre modèle, son propre photographe, sa coiffeuse, sa maquilleuse, son habilleuse. Elle travaille sans assistance dans son studio. Mais ses images ne sont pas des autoportraits, ils sont des personnages qu’elle a inventés et ne parlent en aucun cas d’elle même ou de sa personnalité. Il est plus question de la nature d’une identité. Ce sont des archétypes, qui nous semblent familiers, que nous pensons avoir vu dans un film ou une peinture.

Quelle est sa réflexion sur le médium photographique ?

E.R. : Son approche est une réflexion sur la nature de la représentation. Comment l’identité actuelle est largement manufacturée à travers le médium de la photographie. Elle s’intéresse aussi à la culture populaire, au cinéma, à internet, aux magazines, à la mode et à la façon dont les images qui nous entourent influence la nature de notre identité. Et la photographie est complice de ce phénomène.

Cindy Sherman, par son œuvre, critique l’image sociétale de la femme américaine, notamment en introduisant des signes érotiques dans ses photographies. La femme qu’elle décrit peut elle être assimilée à un objet sexuel ?

E.R. : Certaines images peuvent critiquer la femme objet, d’autres pas. La beauté du travail de Cindy Sherman est d’abord que toutes ses images n’ont pas de titre. Chacun peut donc amener sa propre narration. Dans certains cas, les figures semblent être tirées d’un stéréotype sexuel, mais toutes ne sont pas des femmes, elle a aussi mis en scène des personnages masculins. En effet, ils parlent néanmoins des différents rôles de la femme dans notre société : la bombe, la diva, la parfaite femme au foyer etc.

Est ce que la femme de Cindy Sherman est en perte d’identité face aux diverses pressions de la société ?

E.R. : On pourrait dire cela de certaines œuvres mais tous ses personnages représentent plus une réflexion sur notre actuel moment culturel. Comment, bien sûr, les pressions de la société nous modélisent. Son travail de 2008, les Society Portraits, sont une réflexion sur notre société obsédée par la jeunesse et le statut. Une société composée de regards d’adolescents qui aspire à la richesse. On peut observer cet aspect dans ses images par le maquillage, les habits, les boucles d’oreille, les coupes de cheveux. Tous ces éléments sont présentés avec une extrême précaution pour le regard du spectateur les remarque dans notre culture contemporaine.

Selon Cindy Sherman, quelle serait une meilleure image de la femme dans notre société ?

E.R. : Dans les Society Portraits, la femme apparaît comme tragique et vulgaire, mais Cindy Sherman développe toujours un sentiment pour ses personnages. Son travail est complexe car il peut être critique, parodique et empathique. Malgré les conventions de la beauté qu’il critique, c’est aussi une reconnaissance du goût de la femme pour les codes de la beauté, les habits, la mode, sa façon de se regarder dans le miroir.

Et quel genre de femme est alors Cindy Sherman ?

E.R. : C’est une femme modeste, malgré son succès et se réalisations, même timide pourrai-je dire. Elle aime la mode, le shopping et les différents petits plaisirs de notre culture contemporaine, comme n’importe quelle femme. Elle travaille de façon intuitive et est aussi consciente de sa participation à la culture visuelle.

Le mot mode revient beaucoup. Peut-on parler de Cindy Sherman comme d’une photographe aux confluences de la photographie contemporaine et celle de la mode ?

E.R. : Tout à fait. Elle travaille d’ailleurs pour l’industrie de la mode depuis le début des années 80 ou a continuellement des commissions de Vogue, Harper’s Bazar ou des maisons de mode. Il n’y a pourtant aucune séparation entre son travail artistique et commercial. Les images qu’elle réalise dans ce cadre sont en fait des anti photographies de mode. Elles ne montrent pas de modèles magnifiques mais des regards bizarres et des habits qui ne flattent pas le corps. C’est intéressant de voir que Cindy participe à cette culture de la mode et la critique à la fois. Balenciaga, qui a commissionné Cindy en 2007, sait très bien comme les autres, ce que vont présenter les résultats. Ils veulent se lier à l’avant-gardisme.

Cindy Sherman refuse de qualifier son œuvre de photographie féministe. Qu’en pensez-vous ?

E.R. : Je pense que son travail peut être absolument vu d’œil féministe. Elle se considère elle même comme une féministe mais pas son travail. Ses photographies peuvent aborder des questions féministes mais renvoient aussi au grotesque, à la misère ou au corps. Elles participent néanmoins inconsciemment au débats féministes qui existent depuis les années 60.

Pourquoi son travail est-il considéré comme pionnier dans l’histoire de la photographie ?

E.R. : Pour différentes raisons. Lorsque Cindy a émergé dans les années 70, surtout avec sa série révolutionnaire des Film Stills, la photographie et l’art contemporain étaient très séparés. Elle a guidé, avec d’autres artistes, la photographie dans les discussions sur l’art contemporain. Particulièrement car elle n’était pas si concernée par la technique ou l’impression, comme d’autres maitres de la photographie moderne comme Adams ou Weston, mais par les idées dans l’image. Ces idées sont devenues très importantes car elles ne parlent pas seulement à la photographie mais à l’art en général. La façon dont elle décrit la représentation, l’artifice et la fiction, avec le degré de manipulation qu’elle utilise est aussi très importante. Elle a percé notre imagination collective en nous rappelant Antonioni ou Hitchcock. Elle mis en lumière les nouvelles capacités de la photographie narrative et influencé des artistes tels que Jeff Wall ou Andreas Gursky en ce sens.

Que peut-on attendre de Cindy Sherman dans les années à venir ?

E.R. : On peut déjà voir au MoMA son récent travail intitulé Photographic Murals (2010), qui font une première nord-américaine. Il illustre ses nouvelles méthodes de travail. Elle sort ici pour la première fois du cadre photographique. Ensuite, celui qu’elle montrera en avril chez Metro Pictures montre de nouvelles techniques pour changer son visage. Auparavant, elle utilisait du maquillage, aujourd’hui elle s’est adaptée à Photoshop pour modifier les courbes de son nez ou de ses lèvres ou ajouter des effets grâce au logiciel. Jouer avec les outils de la nouvelle technologie est la principale direction qu’elle prend et je suis impatiente de voir ce qu’elle aura de nouveau à nous proposer dans le futur.

Propos recueillis par Jonas Cuénin

Cindy Sherman
Du 26 février au 11 juin 2012 au MoMA de New York
11 W 53rd St
New York, 10019

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