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Charlie Chaplin à Shanghai : un évènement !

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Du 8 Juin au 7 Octobre 2018 au Yuz Museum de Shanghai se tient la première rétrospective mondiale de l’œuvre de Charlie Chaplin (1889 Londres -1977 Vevey) coproduite par le Musée de l’Elysée de Lausanne et le Yuz Museum de Shanghai, avec plus de 300 photographies et près de deux heures d’extraits de films de la carrière de Charlie Chaplin. Elle consacre la place proéminente de Shanghai sur la scène artistique et culturelle mondiale et c’est une occasion extraordinaire de redécouvrir cet acteur hors norme et les dimensions humanistes de l’artiste engagé exilé qui a attendu 20 ans après son départ d’Hollywood pour y revenir recevoir un Oscar d’Honneur en 1972 devant une standing ovation qui a duré 12 minutes, (la plus longue de l’histoire des Oscars).

De l’invention du personnage iconique de Charlot le vagabond (the Tramp) comme ce portrait où il se tient avec ses pieds en pattes de canard (fig.1), à sa complexification mélodramatique avec sa moustache son chapeau melon (fig.2) et sa canne dans des films comme the Kid (1919), comme sur cette photo où la subtile mise en scène des trois personnages dit tout (fig.3) : le policier derrière le clochard et le gamin guettant l’arrivée du policier. Et La Ruée vers l’Or (1924) où on le voit en réalisateur cum cameraman sur le lieu du tournage dans les montagnes enneigées du Nevada, image qui reflète bien sa réputation de perfectionniste et d’homme à tout faire (fig.4). Voici encore une image « parlante » extraite des Temps Modernes, le premier film où Charlot révèle sa voix en chantant une chanson en charabia et dans lequel il confronte l’homme aux machines et à l’industrialisation (fig.5).

Dans son véritable premier film parlant « Le Dictateur » tourné en 1939 et sorti en 1940 (il fallait se moquer d’Hitler), on voit dans cet autoportrait avec son ombre chinoise (fig.6) un Charlot sensible aux problèmes du monde qui n’hésite pas à prendre une position politique ouvertement pour la paix et contre la guerre.

En 1946 il tourne Monsieur Verdoux (fig.7) un assassin de veuves riches inspiré par un scenario d’Orson Welles sur le tueur en série Landru, dans ce premier film sans aucun rapport avec le personnage de Charlot, Chaplin choque ses spectateurs par ses critiques contre le capitalisme. C’est le début de sa victimisation par le McCarthysme qui le fera se réfugier en Europe pendant 20 ans.

Grâce à cette exposition sans précédent au Yuz Museum on peut enfin découvrir cet autre aspect peu connu du Roi de la Comédie. Outre sa conscience des affaires du monde, c’est sa passion pour l’Asie qui vient de sa première année sabbatique en 1931-1932, lorsque, après avoir tourné Les Lumières de la Ville, il s’est demandé s’il fallait continuer à réaliser des films muets ou à adopter le parlant. Or c’est la rencontre entre Tatyana Franck directrice du musée de l’Elysée de Lausanne qui gère le fonds Charlie Chaplin et Budi Tek créateur du Yuz Museum de Shanghai, grand collectionneur d’art contemporain et entrepreneur sino-indonésien qui, de passage à Lausanne, a repéré dans les archives de Chaplin des photographies de voyage en Asie qui l’ont bouleversé, compte tenu de son profil personnel. Voici quatre des photographies rarement vues et certainement jamais exposées en Asie.

Cette photo de Charlie Chaplin aux champs de course (fig.8) avec son frère Sydney date de son premier voyage à Singapour, à la suite de son séjour à Londres en 1931. C’est à Londres que Charlie a demandé à rencontrer Mahatma Gandhi qui l’a reçu lorsqu’on précisa au père de l’indépendance de l’Inde que Charlie était un sympathisant de sa cause. Puis au lieu de rentrer directement à Hollywood il fait un crochet en Méditerranée pour embarquer son frère Sydney qui vivait à Nice. Tous deux visitent Singapour et Bali avant de se rendre au Japon. A Bali Charlie Chaplin a tourné un film en 16mm sur les danses balinaises et sur le générique de fin il écrit : « how nice to be away from civilization, relieved of stiff shirt fronts and starched collars ».

En 1936 après avoir présenté la première de son film les Temps Modernes il emmène son actrice Paulette Goddard en croisière trans-pacifique pour refaire ce voyage en Extrême Orient.

Ils passent par Honolulu pour rejoindre le Japon. A chaque fois il manifeste son intérêt pour les acteurs locaux et veut les rencontrer, à Tokyo il a rencontré des acteurs de Kabuki et même des lutteurs de Sumo. De Tokyo le couple débarque à Shanghai où l’actrice du cinéma chinois Hu Die (Butterfly Wu) leur offre un banquet d’accueil. Charlie assiste ensuite à une pièce d’opéra chinoise et rencontre le grand acteur Mei Lanfang comme on voit sur cette photo (fig.9).

On pourra consulter le blog « This day in history » de Ned Kelly sur That’s Shanghai (1) pour savoir ce que les deux monstres sacrés se seraient racontés. Le 14 mars ils arrivent à Singapour via Hong Kong, On les voit faire la course en pousse-pousse mais Charlie a pris le temps de visiter l’école pour les enfants défavorisés (Reformatory School). Puis ils partent en Indonésie pour visiter Borododur puis Bali où Charlie avait tant apprécié les danses Legong, Kecak et Barong, etc. De retour à Singapour ils partent pour Saigon et Phnom Penh pour visiter Angkor, on voit Charlie en casque colonial et tout vêtu de blanc avec Paulette Goddard dans les ruines d’Angkor (fig.10).

Puis à Saigon on sera surpris par un Charlie Chaplin à lunettes souriant malicieusement et déroulant des deux mains un drapeau qu’on devine tricolore mais sur lequel sont écrits ces mots « Régie Opium et en chinois Société d’Opium » (fig.11). On peut imaginer le nombre de photographies prises par Charlie Chaplin lui-même surtout à Bali et à Angkor « si loin de la civilisation » comme il écrit dans ses mémoires. Ils feront le tour de l’Annam avant Hanoi, puis ce sera Hong Kong de nouveau Shanghai. C’est durant la croisière de Shanghai-Kobé que Charlie rencontrera Jean Cocteau sur le bateau. Le voyage prendra fin de Yokohama à San Francisco.

Dans les années 1950, Charlie rendra visite, en Suisse, au premier ministre indien Nehru et sa fille Indira Gandhi en 1953 à Bürgenstock où s’est tenue une conférence des ambassadeurs indiens en Europe. Il leur a certainement parlé de ses souvenirs de rencontre avec Mahatma Gandhi à Londres. C’est Werner Bischof le talentueux photographe suisse premier à rejoindre les quatre originaux fondateurs de l’agence Magnum en 1949, qui les a photographiés en conversation amicale et décontractée. En 1954 Charlie recevra à Vevey le premier ministre chinois Chou Enlai venu en Suisse pour la conférence de Genève de 1954. On s’apercevra que c’était des années difficiles de la Guerre Froide avec des tensions suite à la Guerre de Corée et la défaite de l’armée française à Dien Bien Phu.

Charlie Chaplin avait une véritable vision du monde, il était si près des enfants misérables et défendait les fables, et le monde le lui rend bien, sa silhouette et son personnage étaient connus de tous, jusqu’aux coins les plus reculés de Chine ou de l’Inde.

 

Jean Loh

 

http://www.thatsmags.com/shanghai/post/5873/history-of-the-hai-when-charlie-chaplin-came-to-town

 

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