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CatchLight 2022 Visual Summit : Entretien avec Elodie Maillet Storm

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L’organisation à but non lucratif CatchLight présentera sa conférence annuelle, intitulée « Visual Storytelling Summit » les 19 et 20 avril 2022 à l’Institut d’Art Contemporain de San Francisco. Deux jours entiers de conversation et d’inspiration mettant en vedette certaines des principales figures de la narration visuelle. Notre correspondante Marie Pellicier s’est entretenue avec la directrice de CatchLight, Elodie Maillet Storm. 

 

Marie Pellicier (M.P.) : Pourriez-vous nous en dire plus sur l’histoire de CatchLight et comment est venue l’idée de créer le Visual Storytelling Summit ?

Elodie Maillet Storm (E.M.S.) : Catch Light a été fondé en 2017 par Nancy Farese.

L’idée derrière CatchLight est de tirer parti du pouvoir du photojournalisme pour informer, connecter et transformer les communautés. Notre objectif est vraiment de soutenir le domaine de la narration visuelle, de s’assurer que toutes les histoires importantes ont une chance d’être racontées visuellement. Nous agissons via deux canaux différents, le premier est notre bourse d’étude internationale où nous donnons à 3 ou 4 boursiers jusqu’à 30 000 dollars par an afin de leur permettre de penser un projet ou une infrastructure qu’ils aimeraient construire sur le long terme.

Nous avons également un programme local, qui se penche sur le déclin du journalisme visuel au niveau communautaire, notamment en raison du déclin des médias et des organismes de presse locaux. Les journalistes locaux n’ont plus nécessairement les ressources pour faire du journalisme visuel et nous voyons quel impact négatif cela peut avoir.

Notre objectif est enfin de créer un espace où tous les professionnels des médias, de la technologie et de la narration visuelle se réunissent. Beaucoup de communautés issues du photojournalisme se rassemblent principalement sur la côte est des États-Unis, avec des événements comme le National Geographic Seminar, mais il y a très peu de choses qui se passent sur la côte ouest à ce niveau-là. CatchLight est dans une position unique parce que nous sommes basés sur la côte ouest à San Francisco, où une grande partie du milieu artistique et journalistique est également impliquée dans la technologie, notre objectif est donc de rassembler ces mondes pour débattre sur les questions de société.

 

M.P. : Vous avez déclaré : « La narration visuelle est un élément essentiel de l’écosystème de l’information, mais elle est de plus en plus menacée par le déclin des médias, grands et petits. » Pouvez-vous définir davantage ce déclin ? Parlez-vous des médias classiques et / ou des médias web ?

E.M.S. : Je parle de toutes les organisations médiatiques. Avec l’arrivée de Facebook et de Google, l’argent de la publicité est allé directement aux entreprises médiatiques, je ne parle pas des journaux en eux-mêmes mais véritablement des entreprises qui les financent. Résultat nous avons perdu environ 2000 journaux aux États-Unis. Nous avons également perdu plus de la moitié des journalistes visuels au cours des dix dernières années. Ce qui s’est passé, c’est que lorsque ces organisations médiatiques ont commencé à avoir des difficultés, elles ont essayé de licencier des journalistes, sans vraiment comprendre que c’est une communauté très soudée. Les journalistes visuels sont là, sur le terrain, tout le temps, ils représentent le lien entre le monde et l’information.

C’est ce lien et cette représentation que nous essayons de rétablir.

 

M.P. : Toutes les tables rondes du Visual Storytelling Summit s’intéressent à la manière de continuer à soutenir la création et la diffusion d’images dans notre société mouvante et instable, impliquant des questions d’égalité et de compréhension du monde. L’une d’elle est diffusée depuis Addis Abeba en Éthiopie et dédiée à Aida Muluneh, photographe et fondatrice de l’Addis Foto Fest. Qu’est-ce qui vous a amené à travailler avec Aida et quels sont les points communs de vos actions via deux continents différents ?

E.M.S. : Nous travaillons en étroite collaboration avec Aida depuis qu’elle a été boursière de CatchLight en 2018. Non seulement elle est une artiste visuelle étonnante — et une photographe qui a d’abord débuté comme photojournaliste — elle a surtout une incroyable générosité d’esprit. Nous sommes sur la même longueur d’onde dans cette idée de soutenir la narration visuelle, c’est pourquoi nous lui avons attribué une bourse afin qu’elle puisse enseigner des ateliers et trouver une nouvelle génération de conteurs visuels sur le continent africain.

Nous avons depuis continué à travailler avec Aida car bien souvent une grande partie de notre mission avec la bourse CatchLight n’est pas l’affaire d’une année, mais plutôt une collaboration sur le long terme. Cela va de comment soutenir son travail ou comment la conseiller sur des modèles commerciaux, notamment à travers l’Africa Foto Fest qu’elle lance cette année juste après le Visual Storytelling Summit. Nous avons pensé que ce serait un bon moyen pour elle de présenter en avant-première sa programmation artistique en mettant un coup de projecteur sur cet évènement.

 

M.P. : Cette collaboration est-elle aussi un moyen d’exporter les engagements de CatchLight ?

E.M.S. : Bien sûr, cela montre une autre facette de notre travail. Notre mission est globale et va au-delà des frontières et des continents, à l’image de notre collaboration avec Aida.

 

M.P. : Une autre table ronde est consacrée au Web3 et à son impact potentiel sur le photojournalisme dans le futur, quelle est votre vision sur ce sujet ?

E.M.S. : Pour moi, c’est très intéressant car il y a beaucoup à explorer à travers ce sujet. Internet est en train d’être réécrit en ce moment même, et la façon dont il a été écrit les deux premières fois (1.0 et 2.0) n’a pas vraiment permis un certain nombre de choses. Tout d’abord l’authentification du contenu, il est très facile pour un auteur d’être dépouillé d’une image alors qu’il est très difficile d’accéder aux sources des images. Il est aussi très facile de dupliquer des images sans méta données, et c’est généralement problématique pour l’authenticité de celles-ci, en termes de capacité à suivre où elles vont et à monétiser ces procédés. Alors qu’Internet est réécrit avec la blockchain, je pense qu’il est intéressant de réfléchir à la manière dont la photographie sera à la fois authentifiée, distribuée et monétisée. C’est pourquoi nous avons invité Jonathan Dotan à en discuter, il a un laboratoire d’étude à ce sujet et a déjà beaucoup travaillé autour de la blockchain et de l’authentification des images.

 

M.P. : Selon vous, cela ne peut pas être une menace pour le photojournalisme ?

E.M.S. : Cela pourrait être une menace, mais aussi une opportunité et je pense que nous devons vraiment y réfléchir. Quoiqu’on en dise, la blockchain, les NFT… c’est en train de se faire. Il est donc important de mettre ces questions sur la table et de s’assurer que notre milieu a une chance d’être connecté aux personnes qui écrivent cette nouvelle architecture d’Internet parce que nous n’en avons pas eu l’occasion les dernières fois.

 

M.P. : À travers les tables rondes proposées lors du Visual Storytelling Summit, vous rendez hommage à la lutte contre la désinformation et aux « gardiens des images », c’est-à-dire ceux qui récoltent les images et l’information visuelle sur le terrain, en tant que témoins de notre époque. Est-ce exact ?

E.M.S. : Oui car je pense qu’il n’y a pas eu encore beaucoup de discussions sur la façon de lutter contre la désinformation et sur la façon d’utiliser la technologie pour le faire, il n’y a pas eu non plus de conversations sur la place vraiment importante que les images ont, tout comme le rôle du journaliste visuel. On peut constater cela par exemple avec Andrea Bruce et David Rodriguez Muñoz (intervenants à la table ronde « Investing in Trusted  Messengers: An Antidote to News Deserts » – le 19 avril 2022), qui sont très appréciés dans leurs communautés. Andrea a créé une newsletter hebdomadaire destinée à sa communauté, qui était jusqu’à présent dans un véritable désert d’informations et où il n’y avait pas de réel canal pour recevoir ces informations. Ce combat contre la désinformation ne concerne pas uniquement la création d’images, mais aussi le journaliste visuel lui-même.

C’est aussi le cas de David Rodriguez Muñoz avec le média The Salinas Californian. Il est probablement la figure la plus connue de ce journal dans sa communauté de travailleurs agricoles en Californie car il joue un rôle essentiel pour apporter des informations à cette communauté. Le compte Instagram du journal a d’ailleurs doublé de followers depuis qu’il y travaille, car la communauté s’y voit enfin représentée. Il est partout là où la communauté se rassemble, du match de football à l’école en passant par les réunions de conseils d’administration ou les portraits des officiers de police.

D’une manière générale, je crois vraiment au pouvoir du journalisme visuel et de la narration visuelle pour aider à informer les communautés, où qu’elles soient.

Marie Pellicier

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