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Carnival Strippers 1972 – 1975 : série fondatrice de Susan Meiselas

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A New York, la Danziger Gallery, expose le reportage qui a lancé la carrière de la photographe documentaire.

Susan Meiselas croise la route des strip-teaseuses de foire lors d’un road-trip en Nouvelle-Angleterre avec son mari Richard P. Rogers – un réalisateur de documentaires connu pour avoir étudié dans ses films la culture et les classes sociales américaines. C’est l’été 1972. Elle s’étonne des pancartes « Interdit aux femmes et aux bébés » à l’entrée des tentes, côtoie celles qui y paradent mais attendra son retour l’année suivante pour se faire inviter dans leurs loges et enregistrer les conversations qu’elle entretient avec elles. « A l’époque, les féministes le considéraient (i.e. le cirque) comme un lieu d’exploitation et les femmes qui s’y produisaient comme des victimes », écrit-elle dans son livre rétrospectif récemment publié par l’éditeur Xavier Barral.

De fait, lors de sa première publication en 1976, le livre Carnival Strippers est qualifié de « déprimant » même si la critique salue l’éclairage qu’il apporte sur un monde caché derrière d’épais rideaux. Meiselas y suit une troupe de strip-teaseuse qui se produit lors de festivals de petites villes en Nouvelle Angleterre, Pennsylvannie, et Caroline du Sud. On y lit notamment certains extraits des témoignages recueillis par Meiselas à l’occasion des trois étés qu’elle a passés à suivre les filles dans leur tournée saisonnière. Il en va ainsi de Lena, qui explique sans fard: « En fait, j’ai attrapé une maladie à l’estomac la première fois que je suis descendu et que quelqu’un m’a léchée. Je suis rentré et j’ai vomi, puis je me suis dit qu’il fallait maintenant que je le fasse, et je l’ai fait. Je n’en prendrai pas l’habitude, c’est le seul endroit où je le ferai jamais. […] Et toutes ces filles sur scène sont des connasses. »

Cette série définira rapidement l’approche de Meiselas, faisant de la photographie un médium avant tout participatif. Elle avait pour son projet d’étude, « 44 Irving Street », partager ses portraits avec ses sujets en les invitant à parler d’eux-mêmes, et elle reproduira ici encore l’exercice.  « Mes études d’ethnographie embryonnaires m’encourageaient à suivre cette démarche. […] C’est sans doute là une des raisons pour lesquelles la façon de travailler des grands photographes de rue ne pouvait pas me convenir. J’avais besoin ensuite de partager ce que j’avais vu de le restituer au sujet photographié », écrit-elle encore.

Elle se lie donc peu à peu d’amitié avec ces femmes, et multiplie les angles. Elle se place d’abord face à la scène, en se fondant dans la foule d’hommes envoutés par la brève performance. De là, elle est spectatrice au même titre qu’eux, et que ceux qui verront ensuite ses images. Et les femmes semblent poser, fières et inébranlables. C’est le reste des images qui permettra de saisir leurs motivations, leurs personnalités, « leurs espaces psychologiques individuels », pour reprendre les mots de Meiselas. Elle se glisse par ailleurs en coulisse pour capturer les spectateurs, leurs regards rêveurs, fascinés ou excités devant ces corps nus. Puis vient l’envers du décor, les pauses dans les loges avant d’entrer en scène, les visages où se lisent la fatigue, le doute et parfois le dégout, mais aussi la tendresse et la proximité des corps se côtoyant entre deux représentations.

 

Laurence Cornet

Laurence Cornet est une journaliste spécialisée dans la photographie. Elle est également commissaire indépendante. Elle vit entre New York et Paris.

 

 

Susan Meiselas, Carnival Strippers
Jusqu’au 3 mars 2018
Danziger Gallery
95 Rivington Street
New York, NY 10002
USA

www.danzigergallery.com

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