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Bruxelles : Harry Gruyaert –Roots

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Mon histoire avec la Belgique

J’ai eu à Anvers une éducation très catholique.
A la maison, il y avait d’abord Dieu, puis le Pape, puis mon père.
Ma sœur ainée est devenue missionnaire au Zaïre, où elle s’est fait tuer en 1968. Après mes études, je suis parti le plus vite possible à Paris, en partie pour fuir ; j’y ai travaillé d’abord dans la mode. A New York en 1968, j’ai découvert le Pop Art. J’ai vu ainsi les objets de la vie quotidienne d’une façon différente, avec une autre distance, et avec humour. Cela m’a profondément marqué.
Puis je suis allé à Londres, où, fasciné par l’image couleur des premiers écrans de Télévision, j’ai produit un premier travail abouti, TV Shots, en 1971/72. C’était un premier « reportage » sur le monde, depuis ma chambre, où j’ai compris la distance. Il m’est devenu ainsi possible d’envisager de travailler sur la Belgique, car je n’y vivais plus. C’est difficile de travailler sur l‘endroit où l’on habite. On est beaucoup moins aux aguets ; on commence à trouver tout normal.
Comme je faisais beaucoup d’aller – retour, je constatais que, souvent, les meilleures images étaient au début de mon séjour. On était en 1973 et je n’y travaillais qu’en noir et blanc. Tout me paraissait gris.
Je suivais parfois le calendrier des innombrables fêtes locales, carnavals, processions et autres, très particuliers en Belgique et sujets à des débordements alcoolisés spectaculaires. Malgré tout Je voulais éviter les pièges sentimentaux ou documentaires.

J’ai mis environ deux ans à y voir la couleur qui m’intéressait. Ce fut une révélation. Par ailleurs, j’ai commencé à voyager en photographiant au Maroc, en Inde, toujours en couleur. Mais il y avait la Belgique, avec ce rapport de refus, et d’attirance en même temps.
Je savais que c’étai t un endroit visuellement intéressant, dans lequel il se passait des choses incongrues. Ce n’est pas pour rien que le surréalisme y a été s i important. Pour moi, c’était aussi une thérapie nécessaire, pour me débarrasser de ce sentiment diffus « Amour/Haine » dans lequel j’étais empêtré.
A New York, en 1976, j’ai vu l’exposition William Eggleston’s Guide au MoMA, avec de superbes tirages « dye transfert », qui donnaient une grande sensualité à la couleur. La découverte de la photographie coule ur américaine a été essentielle : je sentais une profonde affinité avec ce tte mouvance, qui m’a encouragé à continuer à photographier la Belgique en couleur. En Europe la photographie couleur était encore d’une esthétique assez pictorialiste : on privilégiait le « beau »au sens classique du terme. En Belgique la peinture de James Ensor avait déjà fait des avancées magnifiques vers le grotesque, le sarcasme ou la banalité.

Mes influences viennent surtout du cinéma et de la peinture. Le travail sur la cou leur d’Antonioni a été décisif, au sens où malgré l’artifice du décor repeint par exemple, il a réussi à faire passer une émotion intense. Pour moi la photographie n’existe que lorsqu’elle a pris corps dans un tirage, qui doit être l’expression juste de c e que je recherche. Je passe, comme beaucoup, plus de temps à sélectionner mes images et à travailler mes tirages qu’à photographier. Pour les tirages couleurs, il y a eu ces dernières années, grâce à la digitalisation, une évolution très significative. On a beaucoup plus de contrôle qu’avant ; on est beaucoup moins dépendants d’une chimie limitée, même s’il y a eu de très beaux résultats avec le Dye par exemple. J’aime l’histoire que l’on raconte sur Bonnard : ja mais complètement satisfait de s es tableaux, il allait parfois dans les musées (à Grenoble notamment) où était exposée l’une de ses toiles dont un détail le préoccupait ; un assistant attirait l’attention du gardien, et il améliorait furtivement la toile armé d’ une petite boîte garnie de deux ou trois tubes et, d’un pinceau.

En 2000 j’ai publié aux Editions Delpire mon premier livre sur la Belgique : « Made in Belgium », avec des poèmes originaux d’Hugo Claus. Nous avions décidé d’évacuer les images en Noir et Blanc, qui représentaient les balbutiements de mon approche.

Comme c’est souvent le cas, en regardant récemment mes Kodachromes, j ’ai trouvé beaucoup d’images que je n’avais pas retenues à l’époque et qui s’avèrent intéressantes avec le recul. J’ai compris également que certaines images en Noir et Blanc sont importantes par le miroir qu’elles constituent. Et enfin, grâce aux avancées numériques, je peux retravailler l’ensemble de façon beaucoup p lus riche.

La Belgique est probablement le pays européen qui s’est le plus vite américanisé après la deuxième guerre mondiale, d’où la puissance de cette banalité, confronté e au surréalisme et à la force des traditions conservées malgré tout, alors que j’y travaillais avant le tournant du siècle.

Aujourd’hui, c’est beaucoup moins flagrant, l’uniformisation gagne, avec une autre culture de la banalité, moins ancrée dans les traditions.

Beau, laid, banalité du beau, beauté de la laideur.
Ces contradictions sont aussi les miennes.

Harry Gruyaert

Roots : Harry Gruyaert
Du 13 décembre 2012 au 3 février 2013
Botanique
Rue Royale 236
1210 Bruxelles
Belgique

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