Alors que la guerre en Syrie s’éternise, alors que les regards s’en détournent peu à peu, plus de 3,2 millions de Syriens ont fui dans les pays voisins, dont 1,2 millions au Liban. Leur situation ne s’est pas améliorée, elle a même tendance à se détériorer avec le temps. C’est ce constat qu’a voulu dresser l’organisation Première Urgence, aide médicale internationale, alors que les fonds pour leur venir en aide diminuent. Et pour cela, elle a fait appel à l’œil plein d’humanité et de sensibilité d’Edouard Elias.
Ce nom ne vous dit peut être rien. Pourtant, ce photographe français de 23 ans a déjà sillonné des terrains très différents, dont une bonne partie au Moyen-Orient. Le constat qu’il dresse est sans misérabilisme. Des clichés capturés avec un grand angle et une volonté de « faire un pas de recul », explique Edouard Elias. Pendant quinze jours, il a accompagné les équipes de l’ONG sur le terrain. Un travail institutionnel bien loin des habits de loup solitaire qu’il revêt habituellement, mais dont il admet avoir retiré certains avantages : « Il faut du temps pour se faire accepter par une population, surtout avec des réfugiés ; tu prends des choses à des gens qui n’ont déjà plus rien. Pour moi c’est un gros poids. Là, ce qui était intéressant c’est la relation des équipes sur place qui côtoient les réfugiés au quotidien. Ils leur font confiance. »
L’exposition Exils syriens, tirée de ces quinze jours d’observation, se décline en quatre thèmes : logement, santé, éducation, vie quotidienne. Quelques-unes des images sont des paysages aérés « pour montrer le Liban et pour illustrer tous les différents environnements dans lesquels les Syriens sont à présent intégrés ». Il y a de la vie dans les photos d’Edouard Elias. Une pointe de tristesse aussi dans les intérieurs gris des habitations aux murs patinés par le temps ou terminés à la va-vite, dans les regards fixes de ces hommes, femmes et enfants qui nous regardent et nous interpellent à travers son objectif. Le grand angle nous invite à prendre du recul, mais aussi à nous rapprocher des photos et à observer les détails : des enfants qui jouent, des matelas et du linge qui sèchent aux fenêtres sans vitre de l’abri collectif d’Ouzaï, université en construction où une centaine de familles se sont installées depuis 2012. Les clichés font sens l’un avec l’autre, à l’opposé du travail souvent demandé au photographe par la presse quotidienne lorsqu’on lui commande une image unique, emblématique.
Un va-et-vient auquel Edouard Elias est habitué. Il ne refuse aucune commande, couvre aussi bien la Centrafrique que la vie politique française, ou les sosies d’Elvis Presley. « Gilles Caron, par exemple, faisait tout ! Les conflits, le monde du spectacle, les people, des portraits. Il n’y a pas de petit sujet. Nous sommes photographes avant d’être reporters. On est intéressé par quoi ? Par aller dans des zones de guerre ou par les gens ? Moi je suis surtout intéressé par les gens. » Même s’il reconnaît passer le plus clair de son temps en zone de conflit, il refuse le terme de reporter de guerre, une appellation stéréotypée qu’on lui a parfois accolée, dans laquelle il ne se reconnaît pas : « Olivier Voisin, un ami photographe mort en Syrie, disait : “On est plutôt des photographes de fracture humaine. Ce qu’on cherche c’est le moment de rupture, là où quelque chose a changé.” Je suis d’accord avec lui. »
Son moteur c’est l’histoire et les images qui l’ont jalonnée : Omaha Beach de Robert Capa, la jeune Afghane aux yeux verts de Steve McCurry, la prise du Reichstag, « même si elle est montée », les premières photos de la guerre de Crimée. Une passion qui ne le quitte pas. Parti en Syrie pour Europe 1 aux côtés de Didier François, tous deux sont retenus en otages pendant 10 mois. A sa descente de l’avion, le jour de sa libération, son premier réflexe est d’attraper un appareil photo pour immortaliser l’instant. Il ressent le besoin de vite repartir, ressentir, reprendre le travail. Sa première commande à son retour ? Une course à pied au nord de Lille pour VSD : « Ils m’ont traité comme avant, critiquant mes images s’il le fallait. Ça m’a plu. » Et puis il part en Roumanie pour Paris Match, et en Centrafrique avec la Légion étrangère, « pour voir comment je réagissais aux conditions difficiles ». Le regard avisé, Edouard Elias est conscient des défis de sa profession. Lors de son premier séjour en Syrie, personne ne veut de ses images. Jusqu’au festival Visa pour l’image de Perpignan. En un 125e de seconde, ses photos sont repérées par Getty Images et publiées dans Paris Match. « Ça tient à ça aussi, une carrière, un 125e de seconde, comme lorsque je déclenche. »
EXPOSITION
Exils syriens
Photographies d’Edouard Elias
jusqu’au 9 janvier 2015
Institut français
Espace des Lettres
Rue de Damas
Beyrouth
Liban
[email protected]
Tel. : 01 420 200
www.institutfrancais-liban.com/fre/Beyrouth
http://edouardelias.com
http://edouardelias.weebly.com
http://www.pu-ami.org