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Atelier EXB : Philippe Séclier : Real Road Test

Preview

J’ai toujours pensé que mes livres étaient la face cachée de mes convictions ou de mes rejets — qu’ils représentaient l’expression la plus vigoureuse et la plus condensée de mon art.
(Ed Ruscha, extrait de l’ouvrage)

Depuis notre rencontre en 2005 à Santa Fe, Nouveau-Mexique […], je rêvais de rendre hommage à Ed Ruscha, cet artiste qui a passé sa vie à jouer avec les mots et les images.
(Philippe Séclier, extrait de l’ouvrage)

 

Atelier EXB publie le livre Real Road Test par Philippe Séclier. Le long de la Route 66 entre Oklahoma City et Los Angeles, Philippe Séclier revisite, soixante ans plus tard, les séries photographiques de l’artiste américain Ed Ruscha qui ont fait sa renommée. Ce projet s’inscrit dans la veine de ses précédentes explorations artistiques où il s’empare d’une œuvre pour nous la faire redécouvrir. Publié dans Real Road Test, au format intimiste et à la couverture souple, à l’instar des livres culte de Ruscha, ce travail rend hommage à une œuvre intemporelle tout en se la réappropriant avec un léger décalage, jouant sur les mots et les images.

Sur les traces de Ruscha

Edward Ruscha a marqué l’histoire de la photographie en devenant dès les années 1950 un acteur majeur de la jeune scène artistique californienne. En 1963, il entreprend son projet de photographier en noir et blanc des stations-service, entre Los Angeles et Oklahoma City, le long de la célèbre Route 66. Un an plus tard, il auto-édite son premier livre d’artiste, Twentysix Gasoline Stations (1963), imprimé à 400 exemplaires. Dans la foulée, il publie plusieurs ouvrages qui traitent à la fois de la culture automobile aux États-Unis, de l’architecture et du paysage : Some Los Angeles Apartments (1965), Every Building on the Sunset Strip (1966), Thirtyfour Parking Lots (1967), Royal Road Test (1967), Nine Swimming Pools (1968), Real Estate Opportunities (1970) et A Few Palm Trees (1971).

Soixante ans plus tard, en 2022, Philippe Séclier décide de partir sur les traces de l’artiste américain. Il prend la Route 66 pour tenter de retrouver ces gasoline stations et de les photographier, cette fois, en couleur. Il applique le même protocole à toutes les séries de Ruscha. Guidé par les coordonnées précises de chacun de ces lieux, Philippe Séclier crée ses propres compositions qui dressent le portrait du paysage américain. ll revisite les titres des différentes séries autant que leurs concepts : les sta- tions-service ne sont plus 26 mais 36, les neuf piscines n’en sont plus qu’une vue sous neuf angles distincts, ce ne sont plus les immeubles mais les croisements qui sont répertoriés sur Sunset Strip et les différents studios de Ruscha deviennent à leur tour une série photographique à part entière. Ainsi A Few Parking Lots, Some Palm Trees, One Swimming Pool, Every Crossing on Sunset Strip, Studios Estate Opportunities et Various Los Angeles Apartments, constituent cet ouvrage.

À la fin du livre, une bibliographie illustrée, issue de la collection personnelle de Philippe Séclier, témoigne de l’ampleur des livres de et sur Ruscha à travers plus de 60 titres. Intitulée Then & Now Books elle constitue un écho à la grande rétrospective Ed Ruscha, Now Then, présentée au MoMA à New York, à l’automne 2023, et au LACMA à Los Angeles, au printemps 2024.

 

Q&R avec Philippe Séclier

De quelle manière avez-vous découvert l’œuvre d’Ed Ruscha et quel impact a-t-elle eu sur votre projet de livre ?

Pour avoir eu la chance de beaucoup voyager aux États-Unis, à partir des années 1980, et surtout dans les années 2000, j’ai pu découvrir de nombreux tableaux d’Ed Ruscha dans la plupart des musées américains, ainsi que ses livres conceptuels qu’il a auto édités dans les années 1960 et 1970. Pour avoir lu dans différents entretiens qu’il vénérait Les Américains de Robert Frank, j’ai souhaité le rencontrer en 2005, au moment où je préparais un film-documentaire sur l’histoire de ce livre. Je l’ai filmé et interviewé à Santa Fe puis je l’ai revu à Paris, en 2006, à l’occasion de sa grande rétrospective au Jeu de Paume, Ed Ruscha photographe. Depuis, je n’ai cessé de me documenter, d’acheter ses livres, de voir ses expositions, notamment celle que lui a consacré la Hayward Gallery à Londres, en 2009, pour ses 50 ans de peinture, ainsi que celle organisée par la galerie Thomas Zander à Cologne, début 2020, qui présentait entre autres 50 tirages de sa série Twentysix Gasoline Stations. Ce jour-là, je me suis promis de repartir sur les traces d’Ed Ruscha. Mais j’ai préféré attendre 2022, sachant qu’il avait pris ces photos entre Los Angeles et Oklahoma City, en 1962. Je ne voulais pas me circonscrire aux Gasoline Stations. J’avais en tête de m’approprier plusieurs autres de ses séries qui sont devenues des livres cultes, pour la plupart.

 

Comment avez-vous procédé pour retrouver ces différents lieux qu’Ed Ruscha a photographiés dans les années 1960 et 1970 ? Et comment vous êtes-vous approprié ses séries ?

En tant qu’ancien journaliste, j’ai toujours associé ma pratique photographique à la recherche de documents, textes ou images, qui me per- mettent toujours d’en savoir plus sur les artistes qui me fascinent. Il existe une grande bibliographie sur Ed Ruscha et, à force d’acheter bon nombre de ses livres ou d’avoir lu la plupart des entretiens qu’il a accor- dés à la presse, et qui sont notamment rassemblés dans un fascicule, j’ai pu recouper des informations qui m’ont permis de retrouver les adresses précises des différents sites qu’il a photographiés. Il se trouve aussi que le musée d’art moderne de Fort Worth, au Texas, a publié un catalogue d’exposition Ed Ruscha: Road Tested, en 2011, dans lequel était insérée une carte très complète, où figuraient tous les noms des avenues ou rues qui avaient fait l’objet de ses séries photographiques, ainsi que l’emplacement de ses différents studios à Los Angeles. J’ai loué une voiture, j’ai rentré chaque adresse dans mon GPS et je me suis mis en chasse depuis Oklahoma City jusqu’à Los Angeles, où je suis resté deux semaines, afin de documenter le plus possible de lieux que j’ai revisités à ma manière, c’est-à-dire en couleur, mais toujours avec l’idée, comme lui, de faire des snapshots et de passer mon chemin rapidement.

 

Pour quelle raison avez-vous tenu à détourner les titres de chaque série par rapport à leur version originale ?

Comme on peut le voir à la fin de l’ouvrage, dans la bibliographie des livres d’Ed Ruscha que je possède, de nombreux photographes, qu’ils soient américains ou européens, ont revisité ses séries, notamment Twentysix Gasoline Stations et, dans une moindre mesure, Some Los Angeles Apartments. Je souhaitais d’une part aller au-delà de ces deux livres qui sont les plus connus, en incorporant d’autres séries et, de l’autre, en profiter pour jouer avec les titres qu’Ed Ruscha a lui-même choisis en inversant ou en échangeant des mots, tout en faisant évidemment référence à leurs versions originales. Mais, pour cela, je devais d’abord me confronter sur place à tous ces sites répertoriés dans ses livres qui pouvaient avoir disparu ou bien être totalement métamor- phosés. Or, à ma grande surprise, bon nombre d’entre eux sont réapparus devant mon objectif.

 

À la fin de l’ouvrage, vous présentez une sélection des ouvrages de et sur Ed Ruscha que vous possédez dans votre bibliothèque. Quelle place, d’une manière générale, prennent les livres dans votre travail photographique ?

Une place très importante, nécessairement. Je n’ai jamais réellement songé à rassembler une collection de livres photo ou sur l’art en général mais à force de me documenter et de m’intéresser à certains photographes et autres artistes, j’ai fini par constituer au fil des décennies un ensemble de publications assez cohérent, des ouvrages de référence comme des livres autoédités par d’illustres inconnus qui ont autant de valeur, à mes yeux, que ceux que les bibliophiles recherchent à tout prix. Ce sont ces corpus qui m’ont, à un moment ou à un autre, donné envie de me confronter à des œuvres, qu’elles soient reproductibles ou non. Cette chance, je la dois en grande partie à Xavier Barral, qui nous a quittés il y a cinq ans déjà, et qui m’a offert l’opportunité de m’exprimer, en me poussant à « construire » des livres qui me permettent de faire écho à des éditions déjà répertoriées.

 

Ce n’est pas la première fois que vous revenez sur les traces d’artistes qui vous ont marqué. Qu’est-ce qui, selon vous, relie Pier Paolo Pasolini, Robert Frank, Tadao Ando et Ed Ruscha ?

On pourrait y ajouter Sergio Larrain, également, à qui j’ai consacré un opus publié au Chili, en 2014. En revenant sur leurs traces, il y a d’abord l’envie de retracer, au sens propre du terme, non seulement une œuvre ou la partie d’une œuvre, mais aussi un parcours de vie. Il est non seule- ment question de voyage – c’est toujours ce qui m’attire en premier lieu – mais aussi d’une certaine forme d’engagement, j’allais dire de radicalité même, qui est leur marque de fabrique commune. Ce sont d’abord et avant tout des œuvres singulières qui émergent et qui, par conséquent, m’émeuvent. Mis à part Pier Paolo Pasolini, que je n’ai pas connu – il est mort, assassiné en 1975 –, j’ai eu la chance d’approcher les quatre autres artistes cités, parfois dans des circonstances assez spéciales, d’échanger avec eux et de les questionner sur leur liberté de créer. J’ajouterai que chez chacun d’entre eux, les écrits tiennent une place prépondérante dans leur art. Ils ne s’expriment pas seulement à travers des images, quelles qu’elles soient, mais à travers un langage aussi. Et c’est surtout cela qui me stimule.

 

Philippe Séclier

Photographe, réalisateur et commissaire d’exposition, Philippe Séclier a notamment publié Hôtel Puerto, un travail au long cours sur les ports dans le monde entier (Images en manœuvre, 2001), La longue route de sable, sur les traces de l’écrivain et cinéaste Pier Paolo Pasolini (Éditions Xavier Barral, 2005), El camino de Tulahuèn, sur celles du photographe chilien Sergio Larrain (Lom Ediciones, 2014) et Atlas Tadao Ando, sur plus de 120 édifices de l’architecte japonais à travers le monde (Atelier EXB, 2021), épuisé en quelques mois.

Il a réalisé deux films documentaires, l’un sur Marc Riboud, Instants d’année (Riff Productions) en 2004, et l’autre, Un voyage américain (Silex Productions), sur le célèbre livre de Robert Frank, Les Américains, en 2009. En tandem avec Xavier Barral, il a conçu l’exposition Autophoto, qui s’est tenue en 2017 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, à Paris, et qui a donné lieu à un livre aux Éditions Xavier Barral, avec lesquelles il collabore depuis plusieurs années. Il co-dirige notamment la collection Des oiseaux et assure le commissariat de l’exposition iti- nérante inspirée de cette collection. Il vit et travaille à Paris.

 

Philippe Séclier : Real Road Test
Atelier EXB
Bilingue : français, anglais
Broché, 14 x 18 cm
128 pages
130 photographies
Prix : 35 € TTC
ISBN : 978-2-36511-396-0
www.exb.fr

Édition limitée
Sous coffret, comprenant l’ouvrage avec un tirage signé par l’artiste, et numéroté de 1 à 50. Format du tirage : 13 x 17 cm

 

Exposition
Ed Ruscha / Now Then
LACMA, Los Angeles
7 avril – 6 octobre 2024
www.lacma.org

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