Alejandro Flores utilise la photographie pour figer une performance, pour écrire noir sur blanc — ce qui se traduit photographiquement par « en image et en couleur ». Son langage emprunte à l’absurde pour capturer un sujet aussi complexe que l’histoire collective. Dans la série Mascaras (Masques), il enfile 9 différents masques en tissu qu’il a confectionnés lui-même à partir de déchets, de caoutchouc, de cuir, de toile, de velours et de fil. Chaque autoportrait illustre une revendication, une affiliation. Sur une image, il porte une crête bien droite faite de franges et de plumes multicolores et pose dans un profil parfait. La crête bleue est déployée comme la queue aux cent yeux d’un paon. Au centre de cette circonvolution, une inscription en lettres majuscules noires sur fond rouge : “PUNK”. Sur un autre portrait, il porte un masque de Spiderman monochrome brodé au fil rouge. Les autres masques évoquent ceux de guerriers, d’ancêtres autochtones et d’amateurs de hard rock. « Mon intérêt pour les cultes, les vêtements, les armures, les masques et les modifications corporelles se concentre sur la façon dont l’image du corps redéfinit les relations de pouvoir entre les secteurs et les groupes sociaux », écrit-il.
Dans la série Malabarismo monumental. La desconstrucción del símbolo, réalisée en 2011 au Brésil et au Nicaragua, il se met justement en scène avec les symboles de la puissance publique. Il pose aux cotés ou, carrément, sur des statues de personnages historiques, créant une nouvelle sculpture. Faite de chair et d’étain, ce nouveau monument raconte une autre histoire : sur une image, Alejandro Flores grimpe sur le dos d’un soldat, les jambes ballantes comme un blessé. Sur une autre, il saute au cou d’Augusto César Sandino.
Inlassablement, Alejandro Flores détourne la symbolique des monuments commémoratifs omniprésents dans l’espace public. Il ajoute à l’histoire ancienne la pellicule de l’histoire contemporaine en prenant les statues comme matière. C’est ce qu’il a fait pour celle de Somoza, qu’il a reproduite pour la Biennale et démolissait le jour du vernissage. L’objet de sa performance consistait à reconstituer La Caida, qui est le nom donné au déboulonnage et à la chute de la statue d’Anastasio Somoza sur la place publique de Managua lors de la Révolution de 1979. C’était le renversement de la dictature. Jeudi 17 mars 2014, la statue était en plâtre et les protestataires étaient joués spontanément par le public de la Biennale. Cela m’évoque l’histoire d’une autre statue brisée par le public le même jour (1), en Italie, à l’Académie des Beaux-Arts de Brera, à Milan : inspiré par tant d’art et d’histoire, un visiteur a grimpé sur la reproduction d’une statue grecque datée du XIXe siècle pour prendre un selfie. Les jambes du Drunken Stayr ont fini en miettes mais l’escaladeur a la mémoire sauve — sa mémoire, à défaut de celle de ses ancêtres.
(1) L’histoire est rapportée par Hyperallergic : http://shorturl.fr/2w »http://shorturl.fr/2w