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Zoe Leonard, surveiller les surveillants

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Avec Al rio / To the River présenté au Musée d’art moderne de Paris, la photographe nous invite à regarder de près la question politique de la migration aux États-Unis et des constructions humaines face à la nature. Un plaidoyer visuel et narratif très fort qui donne toutes ses lettres de noblesse à la photographie.

 Zoe Leonard a passé environ trois semaines à réaliser l’accrochage de cette exposition qui prend ses quartiers dans l’ouest de Paris, au Musée d’art moderne. Preuve du soin qu’elle a apporté à ce travail, Al rio / To the River, entamé en 2016 et qui prend l’aspect d’un long voyage au bord du fleuve, le Rio Bravo, celui qui sépare le territoire des États-Unis de celui du Mexique.

La photographe sillonne les rivages et traque les présences policières américaines. Ici et là, sur une myriade d’images en noir et blanc, nous découvrons les véhicules des « border patrol » en autant de points blancs qui dominent l’espace photographié. Sur d’autres, ce sont les constructions liées qui apparaissent nettement : fils de fer barbelé, murs en acier et miradors. « La nature changeante du fleuve – qui déborde périodiquement, change de cours et creuse de nouveaux canaux – est en contradiction avec la fonction politique qu’on lui demande d’accomplir », note ainsi Zoe Leonard dans le texte d’introduction, seul élément textuel à lire dans l’exposition.

Fleurs de cactus

Ainsi nous déambulons devant des paysages peuplés ou dépeuplés, avec des constructions ou vides de présence humaine, comme un long travelling de cinéma qui nous conduit tout au long de ce vaste fleuve et en fait ressortir les éléments centraux, dont les animaux qui y vivent. En silence, dans une observation quasiment religieuse, nous découvrons les effets de la colonisation humaine sur le territoire, aussi ceux des politiques migratoires américaines et des problèmes écologiques que tout cela entraine. « C’est une exposition faite pour des visiteurs patients », dit ainsi Zoe Leonard. Il faut, de fait, traquer soi-même les détails et si on fait l’effort de se pencher vraiment dessus, on devient comme le surveillant des surveillants, repérant la voiture de la « border patrol » logée dans le paysage ou telle ou telle construction visant à empêcher les migrants mexicains de venir aux États-Unis.

En superposant des vues quasiment identiques prises à quelques secondes près, Zoe Leonard pose aussi la question du médium photographique : comment ce dernier est un outil permettant de cerner les incohérences de notre monde et peut se déployer de multiples façons, qu’est-ce que le champ et le hors-champ, comment une image peut-elle en cacher une autre… ? À deux moments, comme pour donner une respiration à cet accrochage, la photographe a placé des photographies en couleur, fleurs de cactus et tourbillons dans le fleuve, qui rappellent aussi la beauté de ce territoire en dépit des aménagements humains parfois très tristes. Là est la réussite complète de ce projet qui embrasse l’ensemble des impressions reçues devant ce fleuve et qui rend intelligent le spectateur, l’obligeant à chercher dans les détails ou à questionner le cadre du photographe – qu’est-ce que nous pouvons voir et qu’est-ce qui nous échappe ?

Jean-Baptiste Gauvin

 

Zoe Leonard : Al rio / To the River
15 octobre 2022 – 29 janvier 2023
Musée d’art modern de Paris
11 Avenue du Président Wilson
75116 Paris, France
https://www.mam.paris.fr/

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