Yvon’s Paris est le premier livre consacré à Pierre-Yves Petit, dit Yvon. Derrière le photographe de cartes postales diffusées dans le monde entier se cache un esthète à l’œil rigoureux et à l’âme flâneuse. L’historien Robert Stevens l’extrait de sa catégorie.
La France a oublié d’honorer l’un de ses artistes. Doisneau, Ronis, Cartier-Bresson ou Brassaï ont eu leur heure de gloire. Yvon, lui, l’attend. Pour le public, Pierre Yves Petit est un photographe commercial dont les clichés du Paris des années 20 s’envoient par la poste ou s’affichent en posters. Pour l’américain Robert Stevens, historien et professeur à la School of Visual Arts (New York), Yvon mérite la reconnaissance. Et c’est aux Etats-Unis qu’on le célèbre. Yvon’s Paris, premier ouvrage en anglais consacré au photographe, quarante ans après sa mort, réhabilite son travail : « Dans l’histoire de la photographie, personne n’a jamais parlé de lui. Mon idée était de le sortir du monde des cartes postales et d’en faire un photographe à part entière. »
Né en 1886, Yvon aime Paris. Dans les années d’Entre-deux-guerres, il aime y flâner en bicyclette, transporter son appareil photographique d’époque, le poser sur un trépied et y capter l’essence d’un lieu. Il cherche l’harmonie parfaite, transformant les ombres humaines en objets d’une composition simplement dévouée au beau. En amoureux d’atmosphères, il joue surtout avec la lumière. Celle de l’aurore, du crépuscule, celle qui apparaît, cinglante, à la suite d’un orage ou celle qui, étouffée par la brume, rend les paysages fluviaux maussades. Car, selon les recherches de Stevens, le photographe n’aime pas la mi-journée et se nourrit du dramatique. « Sa fille, Danièle Martinot, m’a dit qu’il aimait la musique dramatique comme les marches classiques. Ses photos sont chargées d’élégance mais également d’un ton grave. »
Des soixante-dix photos présentes dans Yvon’s Paris, on retrouve alors ces clichés ultra-célèbres que chaque échoppe de la capitale arbore en vitrine. Une gargouille surplombe Paris, un bouquiniste du bord de Seine fume la pipe, des bateliers errent sur leur péniche, des Parisiens ordinaires font une promenade en barque sur le lac du Bois de Boulogne ou chinent aux puces. « Yvon se mettait même en scène, livre Robert Stevens. Comme sur cette photo où l’homme lit le journal près de Notre-Dame. » Etre acteur de son propre tableau : celui qui s’est offert à 12 ans son premier appareil en volant son père fait preuve d’astuce.
Yvon est un amateur de composition. Il travaille pourtant les prémices de son art au sein du magazine français L’Illustration. Son directeur de publication, René Bachet, lui soufflera un jour : « Tu devrais réaliser des cartes postales. Tu ne vas tout de même pas passer ta vie à faire des photos de presse. » En quittant les préambules du photojournalisme de l’époque, le poète photographe renonce à un destin en lumière. « Capa ou Doisneau se voulaient proches de leur sujet, explique Robert Stevens. Mais Yvon aimait profondément les sujets de ses photos. A sa manière c’était aussi un humanisme. » A travers son œil, l’époque s’efface finalement pour laisser place à une autre forme d’histoire : celle de l’ambiance.
Contemporain de Charles Marville, dont on sait depuis peu qu’il s’appelait en fait Bossu, ou de Méliès, Pierre-Yves Petit tend à être aujourd’hui posthumément distingué. Sur papier mais aussi à Manhattan, où l’exposition new-yorkaise « Yvon’s Paris : Vintage Photographs from the 20ies » propose de découvrir pour la toute première fois une sélection de quarante photographies originale en noir et blanc. Les regards curieux apprécieront d’y faire revivre la lumière chérie par le photographe. Et si la France n’a encore proposé aucune exposition, Stevens ne désespère pas de la lui faire découvrir sous une nouvelle dimension. A quand un évènement à l’Hôtel de Ville de Paris ?
Jonas Cuénin
Yvon’s Paris, par Robert Stevens. Editions WW & Company, 144 pages.
«Yvon’s Paris: Vintage Photographs from the 1920s »
Jusqu’au 29 janvier
Higher Pictures, 764 Madison Avenue
New York, NY 10065
Vendredi 18 février, de 18h à 20h
Signature du livre en présence de Robert Stevens à la librairie Shakespeare & Company, 37 rue de la Bucherie, Paris