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Willis “Buzz” Hartshorn, l’au revoir

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C’était annoncé depuis quelques mois : le directeur de l’International Center of Photography (ICP) quitte l’institution pour raisons de santé. Ce seront ses derniers ICP Awards. Au milieu de cadres qui renferment quelques unes de ses images personnelles, il nous a reçu pour parler de sa carrière et de l’évolution du musée mais aussi et surtout de photographie. C’est l’au revoir d’un derniers héritiers de la méthode Capa.

Comment êtes vous venu à la photographie ?
W.H.
: Au départ j’ai en fait étudié la musique au conservatoire Eastman, dans le Rochester, pour me rendre compte que je n’étais pas vraiment fait pour les partitions. Ayant réalisé des photographies, comme beaucoup de jeunes étudiants, je me suis ensuite dirigé vers cette voie, pensant que j’allais devenir photographe. Grâce à plusieurs éducateurs et personnes pour lesquelles j’ai travaillé au début, j’ai rapidement été guidé par l’idée que la photographie devait se structurer, toujours avec l’image du photographe qui aide les autres photographes. A créer, à publier et à promouvoir leurs images. J’ai simplement aimé cette idée et j’ai commencé, après mon diplôme, à enseigner à l’ICP.

Quels souvenirs gardez-vous de ces débuts au sein de l’institution qui, à l’époque, était toute jeune ?
W.H.
: Il y avait une offre d’emploi et ma femme, que j’ai d’ailleurs rencontré lors d’un stage à l’ICP quelques années plus tôt, venait de mettre au monde un bébé. J’avais besoin d’argent, j’ai pris le job et je ne suis jamais parti.

Des nombreuses fonctions que vous avez exercé, laquelle a été la plus intéressante du point de vue personnel ?
W.H.
: Directeur, bien entendu. Au départ j’ai été un peu hésitant mais je me suis dit : pourquoi pas moi ? Je ne regrette pas ces dix huit années à la tête de l’ICP.

En tant que directeur, est-on aussi proches des images que lorsqu’on est conservateur par exemple ?
W.H.
: Non, pas vraiment. De même, on n’est pas très proche des photographes. C’est dommage mais j’ai la chance d’avoir un tas d’amis photographes et d’être plus proche des photographies que beaucoup de monde. Les responsabilités sont différentes, elles concernent l’évolution de l’organisation, sa direction, sa mission muséale ou éducative, les questions financières, les priorités pour l’avenir. C’est aussi très intéressant.

Question impertinente : pourquoi tout le monde vous appelle-t-il « Buzz » ?
W.H.
: Tout le monde me pose cette question ! C’est ma mère qui m’appelait Buzz. Avant que je naisse, quand je suis sorti de son ventre, à 9 ans, à 11 ans, à 16 ans. Quand je suis devenu directeur de l’ICP, certains m’ont dit qu’il serait temps que j’oublie ce surnom et que les gens m’appellent simplement Willis. Mais qu’est ce que vous voulez, un surnom, cela vous définit.

En 30 ans, les belles expositions se sont succédées ici. Si vous deviez n’en retenir qu’une seule, laquelle choisiriez vous ?
W.H.
: Man Ray, 1982. Ses photographies de mode. Cette exposition avait demandé beaucoup de recherches fascinantes. Je m’intéresse énormément à ce genre de travail de haute esthétique surréaliste ou dada qui s’entremêle avec la culture consumériste. Les images de mode de Man Ray sont l’ultime de cette relation.

Sans catégoriser la photographie, y a-t-il un style que vous préférez ?
W.H.
: J’aime avant tout les photos qui sont intelligentes. Celles qui posent des questions.

Quelle évolution à laquelle vous avez participé vous paraît aujourd’hui la plus significative ?
W.H.
: Lorsque j’ai débuté, il y avait cette question récurrente : la photographie est-elle un art ? Certains pensaient que non, d’autres que la photographie noir et blanc oui et la couleur non. Nombre de musées ont tenté d’entasser la photographie dans le modèle historique de l’art. Ce qui fut intéressant est de ne pas seulement regarder la photographie comme une forme d’art ou un medium symbolisé par la photographie documentaire, mais d’entrevoir plusieurs histoires de la photographie. La façon dont elle interagit avec le commerce, la science, l’Histoire, la politique. Et aujourd’hui la boucle paraît bouclée. Avec le numérique, on est forcé de se rappeler les origines de la photographie et de comprendre qu’elle est le premier moyen de reproduire avec exactitude une information visuelle. La photographie, c’est la multiplicité, la facilité de reproduction, l’accessibilité économique, la possibilité de voir le monde, c’est la démocratie : autant de valeurs clés datant du début du XXe siècle qui refont surface au XXIe. Aujourd’hui, les gens communiquent mais apprennent également à travers des images. En 20 ans, la question était plus de comprendre le sens de la photographie plus que son appréciation.

Pensez vous que l’âme de Cornell Capa est toujours présente entre les murs de l’ICP ?
W.H.
: La réponse courte à cette question est oui. Cornell a créé un environnement et un sentiment de famille. Cornell était proche gens qui travaillaient ici. Cornell voulait que seuls des photographes puissent entrer à l’ICP. Cet esprit est toujours là et je suis probablement l’une des dernières pièces de cet héritage car j’ai appris à ses côtés.

Peut-on parler de votre maladie ?
W.H.
: Bien sûr. Il y a huit ans, je marchais dans la rue et j’ai observé ce petit mouvement de mes doigts. Puis deux ans plus tard c’est devenu un tremblement dans toute la main. La maladie de Parkinson est un peu bizarre : ce n’est pas dans votre sang, il n’y a pas de test qui puisse dire que vous en êtes atteint. La progression est très lente. Chaque jour est une nouvelle normalité. Je suis physiquement bien différent d’il y a huit ans mais je ne ressens pas cette différence. Les symptômes de cette maladie ressemblent à ceux de la vieillesse. J’aime bien que les gens me disent :’Oh mais j’ai la même chose que vous !’. Je leur réponds :’Oui, ca va juste un peu plus vite chez moi’. Vous savez, il y a bien pire…

Pouvez-vous me dire qui sera votre successeur ?
W.H.
: Non, je ne peux pas. Pardon.

Comment va évoluer l’ICP dans les prochaines années en terme de ressources financières et d’emplacement ?
W.H.
: L’ICP va vraisemblablement déménager au dessous de la 23e rue. Sinon, vous devez savoir que pour toute organisation à but non lucratif, les temps actuels sont assez durs. Nous aimerions avoir la même base de donateurs que le Metropolitan Museum, par exemple, même si notre budget peut atteindre les 20 millions de dollars par an et que notre institution a fière allure, avec le musée mais aussi l’école. La tâche majeure de mon successeur sera de donner un nouvel élan à l’ICP. Cela passera par établir le conseil, monter une campagne de capitaux et trouver une installation consolidée.

Quel est votre message pour la communauté de la photographie ?
W.H.
: Simplement merci. Cette communauté était assez petite au début et devient de plus en plus grande. Nous nous connaissons tous, nous travaillons ensemble, pour la camaraderie qui unit les passionnés de photographie.

Propos recueillis par Jonas Cuénin

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