En 2022, le laboratoire photographique allemand Whitewall révélait à Paris Photo le plus grand tirage jamais montré lors d’une foire photographique. Pionnière dans son secteur, l’entreprise ouvre de temps à autre les portes d’une usine moderne comme fonctionnelle.
Pousser les portes d’une usine suscite toujours une part d’émerveillement. On s’attend, la littérature comme référentiel, à découvrir un nouveau Germinal. On s’imagine fourmiller dans les couloirs, traverser des vapeurs, trouver une tuyauterie qui relierait le cœur battant de l’activité à dix autres centres névralgiques. Dans le cas de l’imprimerie, on voudrait trouver quelques grandes rotatives qui sortiraient, comme pour la presse écrite, des photographies à la chaîne. En soi, on ne sait rien des imprimeries photographiques modernes, encore moins de nos usines, sauf à y connaître un peu le milieu. Les ouvriers n’ont pas disparu, mais comme le rappelait Joseph Ponthus avec Feuilles d’usines (2018) ou François Bon dans Sortie d’usine quarante ans plus tôt, l’usine n’intéresse plus grand-monde (à tort).
Créée en 2007 par Alexander Nieswandt, la firme allemande Whitewall s’est installée dans la banlieue de Cologne à Frechen. Plusieurs fois élue meilleur laboratoire photographique par la Technical Image Press Association, elle figure au côté de Picto comme la référence de l’impression photographique à grande échelle et collabore avec de nombreux artistes, musées et fondations, galeries ou particuliers. En s’installant dans la Rhénanie, l’entreprise s’inscrit également dans une tradition historique de la chimie et de l’impression allemande qui remonte au XIXe siècle.
Son usine est un modèle de parcimonie et de fluidité qui rappelle le modèle de Fayol, appliqué en théorie des organisations. Opposé au fordisme, qui prône une indivision du temps à l’infini et une répartition des tâches permettant une production frénétique, l’ingénieur Fayol, avec en cas d’étude l’entreprise Meunier, prônait un modèle intégraliste intégrant à l’entreprise et à sa chaîne de production les savoir-faire et les compétences techniques de ses ingénieurs et ouvriers.
Si la rationalisation des tâches est bien à l’œuvre chez Whitewall — productivité oblige —, la confiance donnée aux métiers prime. L’entreprise affiche peu de renouvellement sur ses postes clés et semble pouvoir travailler avec les mêmes hommes et femmes aux laboratoires, aux impressions laser, aux découpes et aux encadrements. Elle entrera prochainement dans un cycle de formation de ces mêmes métiers en proposant des apprentissages longs, similaires au modèle français, afin de former et garder sous son aile des techniciens et ingénieurs qualifiés.
Whitewall répond au modèle de Fayol dans la liberté donnée à ses employés. Une panne légère peut survenir sur une machine à découpe et la connaissance des techniciens permet d’y répondre en une quinzaine de minutes, en nettoyant les silos ou en ouvrant le capot, par des réparations légères ou moyennes sans l’intervention d’une firme extérieure. Qu’elles soient destinées aux papiers, aux livres, journaux oux œuvres, les imprimeries se caractérisent fréquemment par cette confiance donnée aux techniciens. Elles entretiennent une dépendance à leur savoir-faire, à leur ressenti, à la fluidité de leurs gestes et on peut y voir, romantisme à part, une forme d’interdépendance.
L’usine en elle-même répond à un modèle d’organisation parcellaire. Elle se divise en plusieurs blocs qui correspondent, de manière assez logique à la chaîne de fabrication d’une photographie. Whitewall ne répond pas, comme certaines usines, à des modèles fixes. Elles accepte tous types de formats carrés et rectangulaires, jusqu’au fameux Masterprint qui l’a distingué à Paris Photo. Répondre à cette diversité des formats nécessite une organisation au contraire extrêmement huilée, tant dans l’aménagement de ses espaces que dans le suivi des impressions.
Après la réception des fichiers par le client et le traitement informatisé des images commence l’impression en laboratoire. Le choix d’une impression noir et blanc ou couleurs, puis celui du support — papiers de haute qualité, Canson, Epson ou Hahnemühle, de supports souples (toiles publicitaires) ou rigides (métal print, aluminium, etc.) — influent sur l’impression en laboratoire. Whitewall possède plusieurs laboratoires qui, divisés en plusieurs cellules, s’illustrent ici et là par des imprimantes plus ou moins gigantesques, de marques italiennes ou allemands. Après l’impression, les photographies partent en séchage ou sont contrecollées sur alu Dibon.
Les impressions sont ensuite envoyées, pour certaines, pour une mise sous verre ou sous Plexiglas. Les découpes se sont là aussi au format idoine, sans aucune standardisation que la limite propre à la machine, avant que le tout soit envoyé en encadrement. Whitewall dispose de son atelier de découpe, de son propre atelier d’encadrement et de sa cellule d’envois postaux, toutes trois représentant un corps d’usine fourni par une double dizaine d’employés. La rationalisation de sa chaîne logistique se matérialise en un simple code-barre permettant le suivi de l’impression à chaque de ces étapes, procédé somme toute logique, mais amélioré à l’extrême par l’entreprise.
Dans cette usine, tout semble horizontal et fonctionnel. L’usine est sans démesure, et sans en faire son apogée, il se dégage comme une fluidité à l’œuvre, insaisissable et tout à la fois fascinante par l’observation de ces métiers techniques, qui peu à peu, donnent à l’image sa surface profonde.