Le travail d’Arnaud Baumann est à l’honneur à Paris, en Janvier 2018, autour de deux expositions qui lui sont consacrées simultanément. Réunies comme les panneaux d’un diptyque sous le titre de Total Baumann, ces deux expositions constituent une plongée dans le travail d’un photographe qui arpente le monde et cherche à capter le mystère de nos âmes depuis quatre décennies.
Ne vous fiez pas à l’appareil qui lui sert d’instrument. Ce photographe est comme un peintre ou un dessinateur : il ne « reproduit » pas la réalité ; il ne « capture » pas le réel ; il n’« enregistre », à proprement parler, rien. Il pense. Il imagine. Puis il danse avec son imagination et la fait tourbillonner jusqu’à ce qu’elle se hisse à l’état de vision. Ce photographe est tout aussi alchimique qu’un peintre : il fait de son regard un creuset, et de la matière même du monde il tire la puissance de l’image, comme on tire une étoile du chaos. Chez Arnaud Baumann, c’est une vision qui glisse comme de l’eau d’un œil à l’autre, ou qui traverse les cœurs à la vitesse du feu. Ce n’est plus une image, c’est de la poudre.
Arnaud Baumann aura réinventé son art un nombre incalculable de fois. Comme certains peintres ou dessinateurs, il a remis entièrement sur le métier, non seulement son ouvrage photographique, mais les relations entre la trame de sa vision et la chaine du monde. Au point qu’on peut quasiment deviner la date d’une photo de Baumann aux courbes et aux couleurs, aux angles et aux profondeurs. Ensuite, toute sa vie, il a alterné les photos posées et les photos spontanées, de sorte que les deux se sont sans cesse nourries l’une de l’autre : les photos spontanées sont les esquisses de ses photos posées ; ses photos posées sont les préparatifs de ses photos spontanées.
Et dans les photos spontanées, certaines sont si sophistiquées qu’on les dirait posées : les BNF et Villette de la fin des années 1990, ou même les Animaux de 1994, se plaçant face à l’appareil tels des stars en train de « jouer » les bêtes ! Enfin, il y a ces séries qui strient sa vie d’artiste, comme des Papes ou des Montagnes Sainte-Victoire : les nus de Carnet d’Adresses ; les visages ridés et les sourires lumineux de L’Âge du Siècle ; les AutoSportraits où les voitures ressemblent à des personnages de fiction, plein d’arrondis souriants de comics américains ; les déchainements d’animalité des vedettes transformées en « patients » enfermés dans les Chambres Blanches ; les baptêmes d’Eau Secours ; les corps découpés et exposés comme des œuvres d’art des Excentricités Ordinaires ; ou encore les réalisateurs et acteurs « montés » dans des décors imaginaires des Projections Privées.
Parmi les plus importantes de ses séries, la plus récente, Artistes Peints, a une place à part. Pour celle-ci, Baumann a inventé un système de projection permettant de photographier les peintres ou les dessinateurs tatoués de leurs propres œuvres, métamorphosés par leur style, leurs profils tissés par la chaine même de leur trame. Les Artistes Peints sont non seulement des réflexions sur le physique de l’artiste transformé en creuset de son œuvre, mais aussi des méditations sur la façon dont la photographie associe un être et son devenir, la façon dont la photographie peut fonctionner comme « point d’assemblage », au sens chamanique du terme, entre le corps, l’âme et l’esprit. Tant que nous sommes sur la photo de Baumann, nous ne sommes pas « déboités » ; nous sommes « sur la bonne voie » ; nous avançons vers notre réalisation et notre délivrance.
Parce que l’œuvre photographique d’Arnaud Baumann n’est pas seulement un voyage chamanique, c’est également une quête : celle de la « totalité ». Total Baumann est le nom du lieu que recherche l’adepte. C’est un lieu où le visage d’un homme, une étoile et le monde deviennent Un. Dans un visage, tous les mouvements de l’âme. Dans une étoile, toutes les expressions du corps. Dans un monde, tous les labyrinthes de l’intelligence. Et ce que ses photographies attendent de nous, c’est que nous soyons à la hauteur de leur exigence de totalité nous concernant. Les photographies de Arnaud Baumann nous demandent d’être « Total Nous » : visage, étoile et monde. Le sujet de l’ouvrage photographique d’Arnaud Baumann, le tissage qu’il aura réalisé sur son métier pendant quarante ans, c’est l’homme réalisé.
Pacôme Thiellement
Pacôme Thiellement est écrivain et vidéaste. Il aime Hara-Kiri, Bazooka, Zappa, Twin Peaks, Lost, Sohrawardi et la Bhagavad Gita. Il a écrit des essais sur la pop et la gnose, en particulier : L’Homme électrique (MF, 2008), Tous les chevaliers sauvages (Editions Philippe Rey, 2012) et Pop Yoga (Sonatine éditions, 2013). Il vient de publier La victoire des sans roi (PUF, 2017).
Total Baumann
« Rétrospective » – Photographies de 1974 à nos jours
Les 11, 12 et 13 janvier 2018
Les Showrooms du Marais
118, rue de Turenne
75003 Paris
France
« Ombres et Lumières » Visions intérieures, images intimistes
Du 9 janvier au 3 février 2018
Galerie Corinne Bonnet
Cité artisanale, 63 rue Daguerre
75014 Paris
France