Le catch américain
Il y a encore quelques villages en Amérique où – souvent le vendredi soir – les familles peuvent trouver une soirée d’excitation, un théâtre participatif et un dîner (si les hot-dogs et les soda se qualifient pour l’occasion), sous la forme de catch « indy », l’échelon le plus bas de l’échelle de lutte professionnelle. Les has-beens et les wanna-bes trop vieux ou trop jeunes, trop gros ou trop maigres pour les ligues majeures enfilent des costumes faits maison et se battent dans des arènes de fortune, jouant ce que le fan de catch Roland Barthes appelait «un grand spectacle de souffrance, défaite et justice » qui « présente la souffrance de l’homme avec toute l’amplification des masques tragiques ». C’est vrai, leur performance est la fin effilochée d’un fil dramatique qui remonte dans le temps à travers Shakespeare jusqu’au drame grec classique et au-delà. Comme dans la vie, le bien combat le mal mais ne triomphe pas toujours. Les arbitres, incarnant la justice, sont toujours idiots et chétifs. Les combattants donnent tout, corps volant dans les airs de manière acrobatique, visages tordus dans l’image même d’une douleur insupportable. Les méchants jouent de sales tours, suscitant la juste colère des héros. Les membres du public crient, font des gestes et parfois donnent leur propre coup de poing. La violence et l’agression sont réimaginées, contextualisées, de sorte que lorsque le dernier match est terminé, le public rentre chez lui avec un sentiment de catharsis, de camaraderie et peut-être même une photo dédicacée d’un favori en souvenir de la soirée. L’échelle est petite, les valeurs de production modestes, le statut des interprètes et du public est bas dans le monde en général, mais c’est une soirée de divertissement en direct, un mélange unique de sport et de théâtre qui canalise des thèmes humains éternels.
Virginia Hines
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