La photographie est souvent une tentative, peut-être la dernière, de donner un sens aux choses, de les recomposer à travers une discipline créative. Elle représente le lieu où, à ce moment précis, le désordre s’arrête, après l’envahissement du désir ou la douleur de la perte.
C’est Jacques Lacan qui nous a montré la différence entre la réalité et ce qui est réel. Dans le flux ordinaire de la réalité, belle ou laide, il y a une répétition, un retour « rassurant » du même, une présence d’objets auxquels on donne la confiance de la stabilité. Le réel, en revanche, est ce qui bouleverse cette image, quelque chose qui nous dépasse et nous réveille de l’indolence de la matérialité.
Dans ce sillon peuvent être placés les projets photographiques récents de Denis Piel, dont l’art a toujours raconté des histoires, à travers des images qui ne sont jamais une fin en soi, mais plutôt conçues comme des parcelles de vie, des traces d’existences possibles.
Né en France en 1944, élevé en Australie ayant fait ses études aux États-Unis, Piel est un photographe et cinéaste primé internationalement dont le travail fait partie des collections permanentes du Victoria and Albert Museum de Londres et du Museum of Fine Art de Boston. Reconnu principalement pour sa contribution à la photographie de mode dans les années 1980, travaillant pour Condé Nast, il a tourné plus de 1 000 longs métrages en une décennie pour les éditions américaine, allemande, italienne, française et anglaise de « Vogue », pour « Vanity Fair », » Self, Gentlemen’s Quarterly », interprétant ainsi l’évolution du costume et de la société dans le temps.
Après la tragédie du 11 septembre 2001, il décide de s’installer définitivement avec sa famille à Lempaut dans le sud-ouest de la France, vivant et travaillant au Château de Padiès, château Renaissance en restauration depuis 1992, tournant son regard attentif vers la nature et l’œuvre. de la terre.
Ainsi sont nés les deux projets photographiques Down to Earth et Padièscapes, présentés à la Villa Pignatelli pour la première fois dans un musée public italien, qui se veulent conçus comme un véritable hymne à la vie et au cycle de l’existence.
Les trois premières salles de l’exposition accueillent une sélection de clichés de Down to Earth.
Avec ces travaux, Piel a fait une réflexion d’observation participative des travaux agricoles sur la ferme entourant le Château de Padiès et ses jardins, où avec son fils Olivier il a initié, selon les principes de la permaculture et du développement durable, une expérimentation en agroécologie .
Conçue comme un retour à la terre, à l’essentiel, et donc comme une renaissance, la série se compose d’images fortes, fragments d’une journée, célébrant la nature et la fertilité, véritable hymne à la vie et en même temps un appel à sauvegarder notre planète du changement climatique imparable.
À travers une séquence de clichés en noir et blanc, pris numériquement avec un Hasselblad H4D, l’auteur montre le monde naturel, revisitant la mythologie classique tout en dialoguant avec l’histoire de l’art occidental de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, soulignant la similitude entre nous et le monde végétal, en gardant un fil constant avec l’art d’autrefois. Terres cultivées, forêts, produits des récoltes, corps masculins et féminins au repos et au travail, nus comme des nymphes et des satyres, tissent des parallèles avec des œuvres iconiques et des mythes. Une main creuse la terre, une autre tend deux œufs ; un groupe de fourmis actives erre dans la corolle d’une fleur ; une brouette à une seule roue semble oubliée dans les champs mais revient au travail poussée par Olivier ; une fille nue se mêle à la terre.
En parcourant les pièces suivantes du deuxième étage de la Villa, on rencontre des photographies de Padièscapes, un projet présenté ici à Naples comme une première mondiale, qui peut être conçu comme une extension du sens de Down to Earth, axé cependant sur un aspect spécifique : l’eau associée à des images de fleurs.
Utilisant un cube de plexiglas rempli d’eau comme outil, mélangeant les couleurs, presque comme un jeu d’enfant, il réussit à atteindre la tridimensionnalité, et, comme il le dit, à retrouver « cette innocence à laquelle tant d’artistes voudraient revenir ».
Les images apparaissent comme de véritables pictogrammes, natures mortes triomphantes de la mémoire antique, qui semblent offrir à l’artiste l’opportunité de relever un défi entre la technologie et un retour à la manualité du faire photographique, à travers la subversion de l’espace-temps et le choix d’un élément, la lumière, qui nous permet de voyager du moindre détail d’une fleur, à une dimension plus lointaine et immatérielle.
Une quête photographique, la sienne, qui nous fait réaliser à quel point, au fur et à mesure que nous explorons l’environnement, notre attention s’arrête sur certains objets créant un territoire de marquages affectifs et d’indices esthétiques qui resteront enveloppés dans une temporalité qui inclut le passé sous forme de mémoire. .
Maria Savarèse
Conservatrice
Denis Piel : Down to Earth
Du 7 octobre 2022 Au 20 novembre 2022
Villa Pignatelli
Riviera di Chiaia, 200
80121 Naples NA, Italy
https://www.denispiel.com/