La couleur est la norme de la photographie numérique. Le noir et blanc n’est plus qu’un filtre que l’on ajoute en amont ou en aval de la prise de vue. Un effet vintage parmi tant d’autres. Le noir et blanc conserve encore une patine de classicisme, une aura d’authenticité qui séduit encore nombre d’amateurs et de professionnels (un quart des lauréats du récent World Press Photo a été récompensé pour des images en noir et blanc). Mais cette patine et cette aura dépendent désormais d’un algorithme qui transforme le polychrome en monochrome.
Il y a un bon siècle, la transformation était inverse. Dans les années 1880, à Zurich, le lithographe Hans Jakob Schmid mettait au point un procédé ingénieux d’impression couleur de la photographie. Il obtenait alors un rendu chromatique fastueux à partir d’un cliché en noir et blanc. Avec une précision suisse, Schmid transfèrait le cliché sur autant de pierres lithographiques qu’il souhaitait de couleurs dans l’image finale. Celle-ci était somptueuse, conjuguant avec un bonheur kitsch des teintes pastel. Le résultat a eu beau se situer entre photographie et peinture, entre empreinte objective et estampe subjective, il a convaincu d’autant plus que la photographie couleur n’en était alors qu’à ses premiers essais.
Le photochrome était né. Il fut breveté le 4 janvier 1888 par Orell Füssli, l’imprimerie zurichoise qui employait Hans Jakob Schmid. Pour commercialiser les images, l’imprimerie crée alors une société qui, dès 1895, se nomme Photoglob. Celle-ci existe encore, commercialisant toujours les photochromes d’époque sous forme de livres ou de cartes postales.
En cette fin de XIXe siècle qui voit l’essor du tourisme pour nantis, le succès des photochromes est immédiat. Disponibles sous forme d’albums de voyage ou individuelles, les images en couleur dépassent rapidement les frontières suisses. Une succursale est ouverte à Londres, une autre à Detroit dans le Michigan. Le tirage dépasse les dix mille exemplaires en 1911, avec des formats qui vont du 12 x 17 cm au 48 x 91 cm.
Des photographes travaillent pour Photoglob, la fournissant en clichés noir et blanc. La société achète aussi des images à Félix Bonfils, William Henry Jackson, Polycarpe Joaillier, Félix Jacques Antoine Moulin ou Jean-Pascal Sébah. La concurrence d’autres procédés en couleur comme l’autochrome des frères Lumière ainsi que la première Guerre Mondiale mettront fin à l’aventure des photochromes.
Le Musée suisse de l’appareil photographique à Vevey conserve plus de cinq cents photochromes issus des fonds de Gerhard Honegger et Thomas Ganz. Le musée en propose actuellement une belle sélection, couvrant l’Europe, l’Afrique, l’Amérique du Nord et l’Asie. La découvrir est un voyage autour de la planète et dans le temps. Manque toutefois, et pour cause, l’innovation majeure qu’apportaient à l’époque ces images : voir pour la première fois le monde en couleur. Tel qu’il était. Ou presque.
EXPOSITION
Photochromes
Jusqu’au 21 août 2016
Musée suisse de l’appareil photographique
Grande Place 99
1800 Vevey
Suisse
http://www.cameramuseum.ch