J’étais arrivée la veille, installée chez l’habitant. Au petit matin, je suis sortie avec mon matériel photo dans cette ville inconnue, La Havane, pour la sentir et commencer un travail sur son portrait. Je ne parle pas espagnol. Ne pas parler avec les mots d’une ville oblige à l’immersion dans ses bruits, ses odeurs, ses couleurs et la vie de ses rues, vierge du sens de toutes les paroles que l’on peut entendre. Il faut revenir à l’essentiel de la communication entre les êtres pour ce faire comprendre. Les gestes, les expressions d’un visage et les sourires…
Avant de quitter Paris, certains de mes amis m’ont demandé, évidemment, de photographier ces vieilles voitures américaines de Cuba. Depuis leur importation dans les années 50, elles apparaissent, tels des accessoires, dans les centaines et centaines de photos, prises dans les rues du pays, notamment et surtout, de la Havane. Internet en est rempli! Elles sont devenues incontournables et universelles, un emblème, immortalisées par tous, jusqu’aux plus grands noms de la photographie.
Je savais que l’exercice serait difficile. Un sujet « marronnier » comme l’on dit. Je savais aussi qu’il fallait que je m’en libère le plus vite possible, dès les premiers jours. S’en émanciper pour qu’une fois le sujet traité, mon oeil collé au boitier, retrouve sa liberté de création, insouciant.
Deux jours d’errance dans les rues et rien ne venait. Mes quelques dix ou quinze photos à la journée me paraissaient inintéressantes et démoralisantes. Je les trouvais trop « maquillées ». Comment les distinguer par respect pour leur histoire ? Vous connaissez la page blanche de l’écrivain? Le troisième jour, à seulement quelques mètres de cette chambre louée, mon regard se pose enfin, sur des lignes au loin, au fond d’une rue. Pas à pas je me suis approchée de cette vision. Pas à pas elle est devenue grande. Pas à pas je sentais la confiance revenir… J’avais trouvé le tableau, l’écrin où j’attendrais le passage de mes « modèles roulants » au gré de leur envie! Dans une heure et demi, il serait midi ! Je jouerais alors à dompter cette lumière zénithale dont l’effet de paralysie sur le temps et le mouvement est immédiat, pictural.
Dans ce lieu, nous avons eu rendez-vous deux jours durant, les vieilles américaines et leur photographe inconnue, au même endroit, sur ces quelques mètres linéaires du Malecón. Le soleil de la Havane était sec et rude à la mi-journée. Postée sur le trottoir à plusieurs mètres de leur route, campée en équilibre sur une modeste pierre pour voir et avoir cette ligne bleue de la mer, indispensable au décor de leur portrait, je les ai photographiées comme personne ne l’avait fait.
Exposition Photo sur les berges de la Seine : Quai Aimé Césaire 75001 Paris, jusqu’au 19 décembre