Le musée du Havre accueille la photographe Trine Søndergaard, l’une des artistes majeures de la scène danoise contemporaine. Il s’agit de sa première exposition personnelle en France et celle-ci s’inscrit dans le cadre de la manifestation « Lumières Nordiques » qui a présenté depuis avril 2018, et dans cinq lieux d’expositions prestigieux en Normandie, les œuvres de huit photographes nordiques contemporains. Le Havre est la dernière étape de ce parcours. L’exposition réunit deux des séries récentes de Trine Søndergaard, dont l’une est enrichie par la présence d’un tableau du peintre danois Vilhelm Hammershøi que le musée d’Orsay a bien voulu prêter.
Trine Søndergaard a choisi de faire dialoguer dans le musée deux univers. La série « Interior » se présente comme un libre cheminement dans les couloirs de vieux manoirs délaissés. Tandis que « Guldnakke » repose sur un dispositif précis : une jeune fille sollicitée pour porter une coiffe brodée d’or et qui appartient à une tradition sociale ancrée dans l’histoire du Danemark. D’un côté, l’expression du vide, de l’abandon, le silence, une composition marquée par des préoccupations géométriques ; de l’autre, une présence humaine qui remplit l’image, l’éclat d’une matière, une vibration de couleurs et une symphonie de tissus. Si ces deux séries diffèrent par leur motif, l’attention extrême portée au cadrage et à la lumière les rapproche et contribue à l’affirmation d’un style propre à l’artiste.
La dimension historique de la série « Guldnakke » revêt beaucoup d’importance, mais au travers de la tradition revisitée de ces coiffes, Trine Søndergaard révèle aussi une appropriation originale du genre du portrait. Dans une relation proche et distante à la fois avec ces jeunes filles, elle met en scène l’émergence d’un corps d’aujourd’hui sous une pièce de tissu chargée de symboles ; croisant ainsi présent et passé en même temps que se profile de façon diffuse un hommage à la peinture.
« Interior » constitue une citation explicite d’un maître de la peinture danoise, Vilhelm Hammershøi. Celui-ci a construit une œuvre autour de ce même motif des intérieurs, y revenant sans cesse, à la manière de Giorgio Morandi avec ses natures mortes. Les mots que choisit l’historien Georges Banu * pour décrire l’œuvre d’Hammershøi pourraient s’appliquer à la série « Interior » : « Les intérieurs sont tamisés grâce à une monochromie qui apaise les différences ». Trine Søndergaard joue en effet sur une palette nuancée de gris : les couleurs sourdes des murs sont sublimées par la lumière qui habite les pièces et les couloirs. Georges Banu relève aussi chez le peintre la représentation récurrente des portes : « Sans les fermer, elles se succèdent telle une invitation au voyage au sein de l’espace insulaire de la maison. » La porte est un élément déterminant de la composition, double le cadre, met les espaces en perspective.
Le projet plastique est étroitement mêlé à l’atmosphère qui règne dans ces intérieurs et que Trine Søndergaard s’applique à restituer. Elle est attirée par ces lieux d’où émane l’impression d’un temps qui s’est arrêté, mettant en forme une quête qui l’habite et s’incarne dans le titre « Still » qu’elle a donné à l’exposition : le calme, l’absence de mouvement. Mais elle entend également dans ce mot un apaisement qui lui est nécessaire.
Gabriel Bauret, commissaire général de Lumières Nordiques
- « La porte, au cœur de l’intime », éditions Arléa, Paris, 2015
Trine Søndergaard – Still
Du 13 octobre 2018 au 21 janvier 2019
Musée d’art moderne André Malraux – MuMa
2 boulevard Clemenceau
76600 Le Havre