Et la pluie s’arrête au seuil
« Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu. » Sylvain Tesson, Dans les forêts de Sibérie.
Enfant, je construisais des cabanes. Couverture entre deux portes, bric-à-brac adossé à la grille d’un balcon ou d’un potager, palettes ficelées dans les arbres, ma fièvre bâtisseuse s’étendit bien vite aux refuges pour oiseaux blessés, et à l’adolescence. Les cabanes m’étaient des armures rassurantes, le lieu de ma consolation. Derrière leurs remparts, les pages d’un livre, les framboises chapardées aux voisins, les tomates prélevées au jardin, tout me devenait trésor. Par la construction, si bricole soit-elle, je reprenais le pouvoir. Entre les bras du refuge, si précaire soit-il, je lâchais prise.
Dans la cabane, rien ne peut vous atteindre. Les larmes sèchent, la colère gronde encore, mais plus loin. L’orage s’éloigne et la pluie s’arrête au seuil. Pourtant, l’abri n’est pas totalement étanche. Bien qu’elle devienne plus supportable, la réalité du monde filtre.
À la mi-mars 2020 – alors que notre pays, comme le reste du monde, est en pleine expansion épidémique – le confinement national m’a rappelée au souvenir des cabanes. Face aux gros titres ponctuant le quotidien, n’ayant appris ni à soigner, ni à coudre des masques, j’ai façonné des refuges. Pour traverser cette période, j’ai inventé des abris temporaires, des radeaux précaires, des cabanes symboliques pour rendre le monde plus habitable.
J’ai choisi de travailler les légumes car ils gardent en eux la trace lointaine de leur environnement, le coin de verdure. La nourriture – celle auprès de laquelle on se console, celle dont on a peur qu’elle vienne à manquer, enjeu majeur dans l’étude de l’effondrement d’une société d’autant plus palpable en période de crise est devenue mon matériau de construction. Ces structures sont photographiées sur les journaux du quotidien préalablement triés et teintés. Il s’agit d’évoquer le temps répétitif et les nouvelles distances avec lesquelles il faut composer, de réinventer les formes de l’isolement pour mieux le supporter, de convoquer – à travers la nature morte – nos paysages intérieurs quand celui de la fenêtre semble insuffisant.
En 1773, lors de son Voyage à l’Isle de France et à l’Isle de Bourbon, « Le don d’une plante utile parut – à Bernardin de Saint Pierre – plus précieux que la découverte d’une mine d’or et un monument plus durable qu’une pyramide. » Enfant, je construisais des cabanes, et elles résistent encore.
Tiphaine Populu de La Forge
www.tiphainepopuludelaforge.com
Et la pluie s’arrête au seuil, un travail accompagné par FLORE, Sylvie HUGUES, et Adrian CLARET, réalisé dans le cadre de la Fotomasterclass L’Oeil de l’Esprit (2020)