Where to? – إلى اين ؟
« Quand Thibault Lefébure se rend au Liban à l’automne 2020, il entend couvrir un mouvement de protestation qui a débuté un an plus tôt. À l’origine, étudiants et travailleurs, issus de diverses classes sociales, manifestent dans un même élan. Face aux graves pénuries d’eau et d’électricité, ils demandent à la classe dirigeante de rétablir des services publics de qualité. Ils réclament de la classe politique qu’elle en finisse avec la corruption. Ils veulent, enfin, que leur pays sorte de la crise économique au sein de laquelle il s’enlise. Un an plus tard, devant l’immobilisme des classes dirigeantes, la colère s’est accrue. Mais le mouvement s’est essoufflé. Il a fallu reprendre le travail pour assurer sa subsistance. Certains, qui en avaient les moyens, ont quitté le pays. D’autres veulent encore se battre. Beaucoup sont tiraillés.
« Where to ? », s’interroge le photographe en observant, dans leur combat, des Libanais, étrangement esseulés. « Where to ? », semble se demander cette jeune Libanaise, bras croisés, comme résignée. La question, dans ses différentes acceptions, fait écho à la polysémie des clichés argentiques du photographe, à la gamme infinie de ses gris. Vers où se diriger après tant de combats perdus ? Qu’entreprendre dorénavant ? Quel sens donner à cette lutte ? Les décors apocalyptiques photographiés peuvent incarner l’impasse dans laquelle se trouve le pays. Mais, au loin, il y a la ville debout. Ailleurs, du linge sèche au milieu des ruines. Il n’est peut-être pas tout-à-fait absurde d’espérer.
Le désespoir, pourtant, a bien des raisons de tout emporter sur son passage. À l’image du souffle de l’explosion, le 4 août 2020, qui détruisit une bonne partie du port de Beyrouth et de ses quartiers limitrophes. 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient stockées dans un des hangars de la zone portuaire depuis des années déjà. Une ineptie qui ne semble s’expliquer que par l’incompétence et la corruption qui gangrènent les services publics. Ce sont les ruines causées par cette explosion que Thibault Lefébure photographie, parallèlement aux manifestations.
Aucun sensationnalisme dans les clichés du photographe. Pour lui, l’hyper-réalisme n’est pas de mise. Ce qui ne signifie pas qu’il faille s’interdire tout esthétisme. Les trois formats présents dans cette exposition – panoramiques, carrés, 24×36 – disent le soin apporté au cadrage. Jamais gratuit cependant. Comme ces effets de flou appliqués à des cortèges de manifestants, dont les perspectives se brouillent, elles aussi.
La variété des formats, le côtoiement de scènes de manifestations et de paysages en ruines, la tentation de l’abstraction contre la volonté de faire récit témoignent du regard singulier que Thibault Lefébure porte sur la ville de Beyrouth. L’hybridité de la narration et le recours à l’argentique ne font pas de l’exposition « Where to ? » un simple photoreportage sur un pays blessé. En son cœur, s’expriment les interrogations d’un photographe auteur face à un peuple dont les espérances côtoient l’abîme. »
Adèle Duminy
www.thibaultlefebure.com