La Photo League fut l’une des premières associations de photographes ; eux de véritables pionniers dans l’histoire de la photographie. Deux évènements – une exposition et un documentaire – reviennent sur leurs rêves de justice sociale qu’ils ont imaginée par l’image.
La majorité de ces photographes sont des enfants de la Grande Dépression américaine. En 1936, lorsque la Photo League est fondé par Paul Strand, Berenice Abbott, Sol Libsohn, Syd Grossman ou Walter Rosenblum, y entrer est une façon d’apprendre. Apprendre et partager une jeune pratique photographique – celle de la rue –, s’y exercer sur le terrain et montrer au monde la réalité d’un peuple en difficulté. Porté par leurs conviction, résolument humanistes, la centaine de photographes qui ont rejoint cette association jusqu’en 1951 ont forgé un activisme d’un nouveau genre : celui par l’image. « Ils ont utilisé l’art pour tenter de rendre une justice sociale », illustre Nina Rosenblum, fille de Walter et réalisatrice de Ordinary miracles : The Photo League’s New York, le premier documentaire consacré à la coopérative.
Pourtant, à l’époque, la photographie ne fait l’objet d’aucune considération. Elle n’est ni associée à l’art ni même vraiment respectée. Qu’importe, W. Eugene Smith, Jack Manning, Arthur Leipzig, Edward Schwarz, pour ne citer qu’eux, s’associent aux premiers photographes. Ensemble, par équipes, ces idéalistes sillonnent les rues chaudes de New York à la recherche de ce qui les touche dans la condition de ses habitants. Tout en imaginant chaque cliché comme un outil puissant. Un garçon cireur de chaussures les arrête, plus loin c’est un mineur, puis ils traversent tout Brooklyn pour documenter les plages bondées de Coney Island. A Harlem, ils photographient le quotidien de la communauté noire, leurs problèmes, leurs joies aussi, toujours pour la défense de causes sociales. Plus bas, Walter Rosenblum se rend dans le Lower East Side et immortalise Pitt Street, une rue bouillante qui l’a vu grandir. Leurs photos sont les histoires de leurs sujets mais aussi la leur. Ils rentrent, développent leurs photos dans les locaux de la Photo League, et les font apparaître dans les journaux ou dans Photo Notes, une newsletter interne qui leur offrent une exposition. Parmi tous les membres, Paul Strand fait figure de mentor. «Il était la combinaison parfaite entre la photo classique et le nouveau réalisme», dit Nina Rosenblum. Une nouvelle génération de photographes de rue voit le jour.
L’exposition du Jewish Museum, intitulée The radical camera : New York’s Photo League, 1936-1951, présente 140 photos de cette période. Elles portent le sceau de la Photo League et allient esthétisme, humour et rudesse. Le film de Nina Rosenblum, également projeté au musée dans une version courte (avant d’attendre une sortie plus officielle en fin d’année), offre lui un retour en émotion sur ce temps révolu. « La Photo League mais surtout replacée dans son contexte photographique, explique-t-elle. On y découvre les influences des photographes et celles qu’ils ont amenées. C’est aussi un microcosme d’histoires personnelles regroupées sous un angle historique. » Pour ce faire, l’équipe du documentaire, a filmé des entrevues avec pas loin de cinquante survivants, la plupart octogénaire ou même nonagénaire, dont Jerome Liebling, Sidney Kerner ou encore Morris Engel. Dans leurs souvenirs mêlés aux séquences d’époque et au défilement de leurs photos, ils évoquent les coulisses de la Photo League, les fêtes et les collectes de fond, les réunions au Café Society où ils avaient l’habitude de se retrouver pour des concerts de jazz. Joe Schwartz, 98 ans, retourne quant à lui à Union Square et parle de son travail d’alors dans l’un de ses lieux de prédilection. Restées enfouies pendant 60 ans, ces anecdotes évoquent également les complications qu’a subit le collectif de photographes.
Car en 1947, la Photo League est, pour son engagement supposé auprès du parti communiste, déclaré comme subversive par le FBI et figure dorénavant sur une liste noire. « L’association était de gauche, plutôt marxiste, depuis une origine venant de Berlin, explique Nina Rosenblum. Il existait toutefois peu de liens avec le parti communiste. » Ironie du sort, c’est à ce moment même où la coopérative lance une restructuration et espère devenir un Centre pour la Photographie Américaine, une organisation censée être plus large dans sa couverture. Rien n’y fait et l’aventure s’arrête au bout de quinze années d’activité intense. En 1951, la Photo League est démantelée et tous ses grands noms prennent un autre chemin. Elle laisse derrière elle un passionné qui en mourra – Syd Grossman –, mais devient un exemple. Pour que le reportage ne soit pas seulement pratiqué à l’autre bout du monde mais aussi au coin de la rue.
Jonas Cuénin
Ordinary miracles : The Photo League’s New York
Un documentaire de Nina Rosenblum et Daedalus Production
Au Jewish Museum de New York le 4 novembre 2011
The Radical Camera : New York’s Photo League, 1936-1951
Du 4 novembre 2011 au 25 mars 2012 au Jewish Museum
1109 Fifth Avenue
New York, NY 10128
(212) 423-3200