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Le Paradis de Sylvain Couzinet-Jacques

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Quand les photographes partent en quête de l’Amérique, ils ont tendance à prendre la grande route. C’est un penchant qui fait sens, car l’immensité et la diversité de l’Amérique font partie de ses caractéristiques déterminantes. Quel meilleur moyen d’en témoigner que de montrer les grandes étendues à travers les vitres d’une voiture ? Walker Evans a été un pionnier du voyage photographique américain, avec son ouvrage et son exposition American Photographs en 1938. Robert Frank a adopté la même approche dans son album de 1959, The Americans. Henri Cartier-Bresson a également entrepris des voyages similaires.

Lorsque le photographe français Sylvain Couzinet-Jacques a remporté la commission inaugurale d’Immersion photographique de la Fondation d’entreprise Hermès et de l’Aperture Foundation – programme d’échange créatif franco-américain – il a lui aussi voulu donner un sens à l’Amérique, mais en choisissant de rester en place, de laisser les Etats-Unis venir à lui. Il a donc décidé d’acheter une maison.

Il en a trouvé une en avril 2015, abandonnée, en bois, située dans la ville d’Eden, en Caroline du Nord, et connue sous le nom de Little Red Schoolhouse. Construite en 1884 – l’année où Kodack a fait breveter la « forme moderne de la pellicule photographique », note Couzinet-Jacques – elle abritait autrefois la plus ancienne école publique de la ville. Couzinet-Jacques l’a achetée pour 1 000 $. Au cours de ces deux dernières années, la maison est devenue à la fois l’inspiration et la matière première de la pratique artistique de Couzinet-Jacques. Aujourd’hui, dans une exposition à l’Aperture Gallery, il montre les fruits de ce travail, un ensemble d’œuvres destiné, selon Aperture, à « se confronter aux thèmes souvent contradictoires de l’utopie et du foyer, aux fossés inévitables entre la représentation et la réalité, et à l’œuvre d’art comme outil de réenchantement. » Comme l’écrit Couzinet-Jacques lui-même dans son texte de présentation reproduit sur les murs de l’exposition, la maison peut-être considérée comme « l’espace singulier de beaucoup d’histoires possibles. »

« Il est toujours surprenant de voir comment des univers entiers peuvent se nicher dans les détails, comment des territoires qui semblent au premier abord limités s’avèrent de vastes étendues à explorer. En réduisant ma pratique à l’espace de la maison, j’ai découvert un monde complexe et infini, » écrit Couzinet-Jacques.

L’exposition est tout sauf réduite. Vous trouverez à Aperture des Polaroïds, de la vidéo, des photos d’archives, des objets trouvés, des documents historiques, et de la sculpture. Outre les photos de Couzinet-Jacques, vous pourrez observer les contributions d’un groupe d’artistes et de créatifs, parmi lesquels Amelia Rina, Fred Cave, Thomas Hauser, Ugo Schiavi, Pat McCarthy et Jesse Hoyle. Certains objets sont logés dans diverses constructions en bois et verre qui seront réutilisées pour restaurer la maison délabrée. Plus loin dans l’exposition, vous trouverez des parties du bâtiment actuel, avec notamment, en évidence, une partie du porche arrière, monté de façon à ce qu’il tienne debout.

Il en résulte un portrait texturé et tendre, qui peut toutefois faire s’interroger les spectateurs sur la spécificité réelle de cette Little Red Schoolhouse. Plutôt qu’avec un véhicule à partir duquel regarder dehors, Eden se retrouve emprisonnée dans un tunnel qui fait voir l’intérieur, et où les révélations s’avèrent insuffisantes. Nous voyons la maison dans ses détails obsédants, presque microscopiques, mais le lien crucial entre la minutie et ce qui la dépasse est imperceptible.

Couzinet-Jacques est de toute évidence fasciné par la maison. Or, comme tout intérêt sincère, le sien peut devenir banal. L’une des enclaves particulières et intimistes de la galerie n’existe que pour que les visiteurs feuillètent une édition d’Eden, ouvrage de 992 pages composé de scanners en noir et blanc pris par Couzinet-Jacques de presque toute la maison. Si l’exploit impressionne d’un point de vue conceptuel, les spectateurs trouveront peu de satisfaction à parcourir ces centaines d’images répétitives. D’autres photos de l’exposition parviennent à conférer une certaine magie à ce lieu nommé d’après le paradis biblique, mais Couzinet-Jacques s’appuie trop lourdement sur des couches de couleurs simplistes. Les éclats de rouge, de vert et de bleu ne servent que trop à masquer ce qui reste foncièrement terne.

Eden est un work in progress. Couzinet-Jacques imagine qu’il utilisera à l’avenir la maison comme un « espace artistique de plain-pied, un laboratoire des images, de sérigraphie et de sculpture. » Pour l’instant, Eden apparaît avant tout comme un monument au passé, évoquant trop souvent le traitement stérile d’un musée historique local de peu d’intérêt. Si Eden doit refléter une idée contemporaine pertinente de l’Amérique, il lui faut établir un lien plus tangible et imaginatif avec l’avenir.

Jordan G. Teicher

Jordan G.Teicher est un journaliste américain et un critique basé à Brooklyn, à New York.

Sylvain Couzinet-Jacques: Eden
Jusqu’au 19 janvier 2017
Aperture Foundation
4th Floor, 547 W 27th St
New York, NY 10001
Etats-Unis

http://aperture.org/

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