Les photographies de Tariq Zaidi dans Sapeurs: Ladies and Gentlemen of the Congo ne sont pas faciles à oublier. Leur contexte est très spécifique – Brazzaville et Kinshasa – capitales de deux pays qui sont probablement plus souvent confondus l’un avec l’autre que toute autre paire d’États-nations dans le monde. Comme pour souligner un brouillage des identités distinctives des nations, les sapeurs des deux républiques proclament dans leur style vestimentaire que la culture peut unir ce que les frontières internationales divisent.
La différence géopolitique qui sépare la République démocratique du Congo (RDC) de la République du Congo réside dans leurs généalogies coloniales. La capitale de la RDC (anciennement Léopoldville) porte le nom du roi belge qui s’est approprié la terre; un explorateur français, Pierre de Brazza, a donné son nom à la capitale du territoire voisin qu’il a lancé pour l’acquisition coloniale de la France.
Le fleuve Congo divise les capitales mais il a toujours été culturellement ponté par le peuple Bakongo de la région. Leur résistance à la domination coloniale a pris une forme vestimentaire dans les années 1920 lorsque, selon Zaidi, les domestiques congolais «ont méprisé les vêtements d’occasion de leurs maîtres et sont devenus des consommateurs provocants». D’autres, fonctionnaires et musiciens, ont également utilisé leurs maigres revenus pour s’habiller dans les dernières modes parisiennes, produisant des repères visuels puissants, des actes d’affirmation face à leur statut subalterne.
Les photographies de Zaidi montrent l’environnement raffiné d’une maison de couture parisienne transformée par le sapeur, métamorphosée en, sui generis, un podium congolais d’instants inédits sur fond de hangars en tôle ondulée, murs de parpaings, rues non pavées, cordes à linge, arrière-cours, pneus de voiture abandonnés, troupeaux de chèvres. Le public n’est pas constitué de créateurs et d’acheteurs bien nantis, mais de simples travailleurs urbains; et toute moue, si de rigueur pour les mannequins européens, a une qualité ironique. Être vu et photographié dans leur maison, en ajustant un revers de chemise ou en attachant des chaussures, rappelle leur position non professionnelle; ils ne s’habillent pas pour être payés. La formalité des mouvements d’un modèle est remplacée par une mobilité et un naturalisme que Zaidi introduit dans le cadre de ses images.
Les couleurs vives des photographies font ressortir l’exubérance et la flamboyance du sapeur. C’est du dandysme avec attitude, une confection de couleurs concoctées avec la théâtralité ostentatoire d’un spectacle d’Alexander McQueen. Mais alors que l’iconographie d’un défilé de mode est observée, la sémiotique est recodée et la préciosité redéfinie dans une étrange synthèse de signes: une richesse importée adoptée par les marginalisés pour s’élever au-dessus de telles démarcations socio-économiques dans un esprit de contradiction.
Tariq Zaidi n’est en aucun cas le premier photographe à être attiré par ce spectacle vestimentaire autoréflexif. Le reportage photo de Daniele Tamagni, Gentlemen of Bacongo et la série de photos Sapologie de Francesco Giusti Sapologie sont apparus tous deux en 2009. À peu près au même moment où ces trois Britanniques et Français sont arrivés sur les lieux, le photographe congolais Baudouin Mouanda était déjà sur le terrain.
Comme toute fashionista, le sapeur a besoin d’être vu. Mais la remarque de Susan Sontag selon laquelle une photographie peut être décrite comme une citation permet à un livre comme Sapeurs d’être qualifié d’anthologie de citations personnelles. La dernière page du livre le confirme avec son ensemble de courtes déclarations sur les sapeurs et sapeuses présentés. Le lecteur est informé que Severin Mouyengo et Judith Nkoressa, par exemple, sont respectivement un forestier retraité de 64 ans et une policière de 39 ans. La provenance de la tenue choisie est répertoriée: Michele Florent Ngoma, par exemple, porte une veste Cheyenne, un pantalon Aosie Tommy, une chemise Party, une cravate Fiber, un gilet d’Italie, une ceinture Terente, un chapeau sans marque, une pipe fabriquée localement, boutons de manchette Montblanc, montre MK et chaussures LK Bennett ‘.
Sapeurs combine le documentaire, la mode et la photographie de rue et, rendant les images encore plus hybrides, existe comme des portraits d’hommes et de femmes individuels qui suivent une tradition de mode personnelle enracinée dans l’histoire particulière du Congo.
Sean Sheehan
Tariq Zaidi : Sapeurs – Ladies and Gentlemen of the Congo
Photographies et texte de Tariq Zaidi
Conçu par SMITH
Edité par Kehrer Verlag
Couverture rigide demi-toile 19 x 27 cm
176 pages
Anglais
ISBN 978-3-86828-973-2
Euro 35,00 / GBP 32.00 / US$ 45.00