J’ai fait la connaissance de Takeshi Shikama à Arles aux Rencontres de la Photographie, où je participais à la lecture de portfolios d’apprentis photographes (dont certains confirmés). La plupart des candidats apportent un book, ou un portfolio de tirages (souvent jet d’encre) dans des pochettes plastiques. Parfois j’ai eu droit à des tirages barytés, parfois à des présentations sur écrans portables.
Takeshi Shikama est arrivé avec plusieurs boites de tirages platine réalisés à la main. Sachant le temps qu’il faut consacrer pour réussir un bon tirage, j’étais impressionné. Il m’a tendu une paire de gants blancs et j’ai commencé à regarder le travail. J’étais médusé par les images. A la troisième boite, j’ai levé la tête et me suis aperçu que mon silence rendait l’artiste mal à l’aise. Takeshi ne parle pas anglais (ni français). Sa femme Yukiko, qui est aussi son assistante sur le terrain, a traduit mes encouragements et mes observations.
Quand Joseph Delarue et moi avons ouvert Photo Vivienne à Paris en septembre dernier, où nous prêtons autant d’importance au processus photographique qu’à l’image, il était évident que nous exposerions les magnifiques tirages de Takeshi Shikama.
Lors de leur séjour en France pour cette exposition, j’ai pu passer un peu de temps avec les Shikama. Je les ai emmené dans la forêt de Fontainebleau et en Normandie, où Takeshi a pu croqué avec ses boitiers des arbres aussi vieux que l’invention de la photographie.
Qu’est ce qui vous a attiré vers la photographie d’arbres, de forêts?
Je suis fasciné par les forêts, enveloppé dans l’air simple et naturel. C’est probablement parce que je vis au Japon où 70% de nos terres sont constituées de montagnes et de forêts. Grâce aux riches bénédictions de Mère Nature, nous, japonais, participons continuellement à la longue histoire et aux traditions en faisant de notre mieux pour préserver la nature et même la vénérer.
Comment approchez-vous votre sujet? Comment décidez-vous quel arbre photographier?
Je me promène simplement dans la forêt et j’attends de percevoir petit à petit la voix de la forêt. Je ne décide pas quel arbre photographier. Quand j’ai de la chance, certains arbres me trouvent et me font signe de les photographier.
Est-ce qu’il y a une différence dans votre approche avec les boitiers moyen et grand format?
Avec le grand format je peux prendre mon temps. Je peux attentivement et docilement faire face à l’objet et regarder son intérieur, et l’intérieur de moi-même. Avec le moyen format, j’ai les pieds plus légers. Je peux être plus actif. Je peux me déplacer très rapidement pour capturer un instant de lumière ou l’évanescence.
Beaucoup de gens trouvent que vos photos sont apaisantes, calmes, méditatives. Comment arrivez-vous à cette quiétude visuelle?
J’essaie de prendre une photographie comme je dessine, comme je peint. Avec la caméra je peux fixer l’image. Mais la prise de vue ne représente que 40% du processus. J’accorde une grande importance à la création du tirage : les 60% restant du travail se font dans la chambre noire. Quand je réalise le tirage, je m’efforce de retrouver l’image exacte que j’ai saisie lors de la prise de vue.
Henri-Cartier Bresson évoquait « l’instant décisif », Wynn Bullock parlait de « quatrième dimension », lorsque l’esprit et la matière ne devienne qu’un, quand l’essence même de ce qui est perçu à travers l’objectif se cristallise. Y a-t-il un moment lors de la prise de vue où vous « sentez » qu’il faut appuyer sur le déclencheur?
Le moment où la lumière détaille la scène dans une description minutieuse.
Vous avez récemment visité la forêt de Fontainebleau, qui a inspiré les peintres de Barbizon et des photographes comme Eugène Cuvelier, Constant Alexandre Famin or Gustave Le Gray.
Parmi les forêts que j’ai visité, Fontainebleau m’a beaucoup impressionné. Par chance, lorsque j’errais dans la forêt, il a plu cinq jours d’affilée. Il n’y avait que très peu de soleil. J’ai profité de la sérénité. Je pouvais me concentrer sur les émotions derrière ce que je voyais. J’espère pouvoir y retourner pour me perdre à nouveau dans cette forêt.
Êtes-vous sûr de tenir l’image que vous désirez lors de la prise de vue, du développement du négatif, ou au stade du tirage?
Lorsque je déclenche l’obturateur, je sais ce que je peux obtenir. Cependant, pour obtenir le résultat voulu, je suis obligé de soigner le tirage. Comme le tirage platine est un tirage contact, la phase de création du négatif est très importante. Je n’oserais pas utiliser le numérique. Lorsque j’agrandis mon négatif, j’essaie de contrôler le film pour obtenir l’image que j’ai en tête.
Pourquoi favorisez-vous le processus du tirage platine/palladium?
J’aime sa tonalité riche, la douce et légère expression de la lumière. Je pense que le tirage platine rend possible une expression artistique intemporelle.
Quand avez-vous commencé à tirer sur du papier Gampi (un papier utilisé traditionnellement pour la calligraphie)? Pourquoi cette préférence?
J’emploie le papier Gampi depuis deux ans et demi. Je connaissais la beauté du papier Gampi et j’étais persuadé qu’il s’accorderait avec mes images. Lorsque j’ai réalisé mes premiers tirages platine, je cherchais un papier de qualité et j’ai commencé à faire une collection de différents types de Gampi. Cependant, j’hésitais à le tester car il est très délicat et fragile, et difficile à manipuler. Mais un jour j’ai photographié la pleine lune au dessus d’un arbre dans le jardin de notre maison de campagne. C’était le 1er janvier 2010. Au Japon nous avons une tradition de composer une calligraphie le Jour de l’An. J’ai naturellement suivi mon désir et heureusement réussi à saisir l’image que j’avais dessiné dans ma tête.
Vous allez en Ecosse suivre un programme de résidence sur l’île de Skye où vous allez poursuivre une série de paysages que vous avez commencé à Hokkaido, puis au Pays Bas. Ce qui est frappant dans certaines de ces nouvelles images, c’est l’absence d’arbres. Que cherchez vous dans une photographie de paysage?
J’étais très inspiré par les paysages aux Pays Bas, avec ses immenses ciels bas. J’ai hâte de découvrir les paysages dramatiques d’Ecosse que je n’ai jamais vu. Je suis particulièrement intéressé par la lumière, l’aurore boréale. Je m’attends à voir autre chose que ce que je vois dans la forêt, mais mon attitude sera la même. J’essaye de saisir ce qu’il y a derrière ce que je vois.
Christophe Lunn
Takeshi Shikama : Respirations silencieuses des forêts
Prolongation jusqu’au 20 juillet 2013
Photo Vivienne
4, Galerie Vivienne
75002 Paris
France
(entrée : 5, rue de la Banque / Métro : Bourse, Pyramides, Palais-Royal)
Horaires d’ouverture : mardi au vendredi, 14h-19h – samedi, 11h-19h & sur rendez-vous.