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Sylvain Julienne : Un photographe se souvient

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Il s’appelle Sylvain Julienne. Il a tenu à égréner quelques souvenirs pour les lecteurs de L’Oeil de la Photographie.

Se poser sur les marches d’un temple de Pashupatinath et voir passer le monde sur le pont ou sur les berges de la rivière Bagmati m’apaise. Les singes s’épucent et s’accouplent bruyamment, les gosses plongent, les prêtres bon enfant incinèrent à la chaîne et d’élégantes femmes de tous âges, en sari, se promènent. Un groupe de sâdhus fait tourner un gros pétard tandis qu’un autre s’entraîne à soulever un poids accroché à ses testicules. Les touristes adorent, Il faut bien bosser.

Lui c’est le spectacle et moi c’est la photographie. J’ai commencé à New York avec un reportage sur une manif contre la guerre au Viet Nam. Un gros flic black m’a attrapé et secoué pour faire croire à ses collègues que je me débattais et justifier ainsi un tabassage puis m’a abandonné en me disant: français?. Au final trois de mes photos de cette manif sont parues signées en couverture du Village Voice, l’hebdo local.

Après m’être fait renvoyer de plusieurs lycées et collèges, j’ai raté mon bac et me suis fait réformer de l’armée pour avoir refusé de m’entraîner au tir avec un « inadaptable à la collectivité militaire » définitif. Je pense que c’est ce énième renvoi qui a provoqué l’athéisme de mes parents…je blague.

C’est pourquoi en rentrant à l’Albert hôtel prés de Washington square ou j’habitais avec des copains je jetais un oeil assez modeste sur mes trois oeuvres visibles dans tous les kiosques à journaux. Puis le Village Voice m’a demandé des photos d’un terrain occupé dans Harlem. J’ai fait les photos au moment ou un groupe s’est jeté sur moi avec des battes de baseball et des piques pour barbecue. Le copain qui conduisait a réussi à semer les deux motos qui nous poursuivaient dans Central Park. Les photos ne plurent pas car elles montraient un groupe furieux et armé d’ustensiles divers se jetant sur le photographe… » ce ne sont que des citoyens pacifiques qui veulent juste empêcher la construction d’un immeuble administratif… même si l’on est à Harlem… » m’expliqua le rédacteur…dans son confortable bureau. J’ai emprunté la camionnette d’un copain et demandé à Vaucher, pilote de rallye, de conduire. Nous avons sali les vitres arrières laissant juste un rond propre pour mon objectif. Harlem…clic clac…repoursuite et là J’ai appris un truc: quand vous arrivez à 100 avec une camionnette face à un virage à angle droit…un virage que vous prendriez à 30 en voiture, il faut mettre le véhicule en travers avant le virage puis faire des doubles débrayages pointe talon pendant le dérapage et enchaîner pour les deux suivants. Oui c’est pas très facile…j’ai essayé des années plus tard avec la DS de mon père un soir ou je m’ennuyais et avais un peu bu..il a fallu refaire tout le côté droit.

La première photo était publiable et les suivantes ressemblaient aux précédentes…des types fou furieux qui se jetaient sur le photographe. Merci à Vaucher qui n’a pas calé et au copain qui ne m’a pas fait payer les bosses des battes de base ball sur sa camionnette.

Un ami, Jack Burlot ( c’est bien Jack…il y tient…) m’a donné l’adresse de Göksin Sipahioglu à Paris pour mon retour en France. J’avais aimé New York. Si en arrivant j’avais dormi dans le Park et contre une machine distributrice de tickets à Grand Central Station, réveillé toutes les deux heures par les flics, les opportunités de travailler étaient nombreuses et je me suis vite trouvé un boulot. Les new-yorkais viennent de la planète entière, une ville cosmopolite, et toujours vous trouverez des gens qui ont les mêmes centres d’intérêts que vous. Vous étudiez les travers sexuels chez les huitres au XVII ème siècle?… pas de problème vous trouverez une douzaine de personnes qui travaillent sur ce sujet depuis des années…

Göksin était correspond à Paris du journal turc Hürriyet rue de Marignan prés des Champs et m’a financé immédiatement pour couvrir les troubles en Irlande du Nord. Je trouvais désagréable de conduire à gauche mais j’avais une Morris Cooper et ça…j’ai aimé.

Pendant plus d’un mois à Belfast j’ai photographié des manifs, des blessès, des morts et j’ai commencé à m’intéresser à l’IRA – Irish Républican Army. Les protestants considéraient les membres de cette armée secrète comme de simples terroristes poseurs de bombes. Ils étaient très actifs dans cette guerre civile larvée…je décidais de faire un reportage sur eux. Pas facile. Une nuit il m’a fallu fuir rapido d’un pub par la fenêtre du bureau du directeur poursuivi par une douzaine de clients alors que je cherchais « discrètement » des renseignements…alors je suis passé au sud et ai contacté le Sinn Fein à Dublin – la branche politique – pour exposer ma demande…ils m’ont dit qu’ils n’avaient aucun contact mais qu’au cas où… ce serait l’IRA qui me contacterait. Une dizaine de jours plus tard un maigrichon m’a remis un bout de papier avec une adresse, une date et une heure. Le lendemain à deux cents kilomètres en Irlande du sud j’étais à l’heure dite au lieu de rendez vous en bordure de mer. Personne. Le lendemain un autre rendez vous au sud. Ils étaient trois et m’ont remis un paquet enveloppé de papier journal long de 30 cm et d’un diamètre de 10 cm. De la gélignite m’ont ils dit…il ne fallait surtout pas qu’elle tombe ou subisse le moindre choc…je devais la ramener à Belfast. Planqué sous mon siège, j’ai regretté d’avoir d’avoir une voiture aussi tape-cul que ma Morris…et j’avais la frontière très sécurisée à passer pour rentrer en Irlande du Nord …pour remettre le paquet.

Quelques jours plus tard je photographiais un camp d’entraînement de l’IRA en arme prés de Belfast et en fin de semaine mes photos faisaient la une de journaux anglais…la couverture de Time magazine…etc.

Pendant les décennies qui ont suivi mes photos de l’IRA je me suis baladé un peu partout. Assez peu en Afrique et pas du tout en Russie…croyez que je le regrette. Pendant cinq ans j’ai couvert la guerre du Cambodge avec la chute de Phnom Penh, la révolution des oeillets au Portugal, le Liban, le retour de Khomeiny en Iran, des mouvements de libération de ETA aux Karens birmans, le coup d’état au Chili en septembre 1973… etc…etc.

Ce moyen de gagner ma vie me convenait parfaitement car au final, ce qui me rend heureux c’est de vivre des situations au hasard des rencontres. Pourtant le matériel photo est gênant alors que pour écrire un stylo suffit. J’ai passé des années à me promener en Inde. Lorsque je rencontre à l’aube sur les ghats de Bénarès un petit fonctionnaire qui me raconte sa vie je suis heureux et j’ai de quoi écrire. C’est passionnant. Je suis invité à dîner dans un village de lépreux…et y reste quelques jours tellement l’accueil est chaleureux…les gens les fuient et ils en souffrent…et cela sans fin. Des milliers d’histoires sans photos…mais des paroles et des situations. Je découvre tardivement qu’avec la photographie j’aurais aimé apprendre à écrire. Ecrire et dessiner….

J’aimerai vous raconter la nuit passée dans la fosse d’un garage avec trois sous officiers cambodgiens alors que nous étions encerclés serré par les khmers rouges et qu’à chaque minutes nous craignions de les voir entrer  …Peu avant le plus vieux m’avait donné une grenade en me disant que ce serait mieux que de me faire prendre… une autre fois dans un trou en première ligne depuis deux jours nous avions enfin un casque plein de riz et quelques « trucs »dessus à manger. A l’air de mes compagnons je me doutais que c’était du serpent, du lézard ou un truc du genre. Le problème est que je n’ai compris ce que c’était qu’en le mangeant …du foie humain. Manger le foie d’un ennemi que l’on a tué l’empêche de revenir vous hanter.

J’aimerai raconter un déjeuner  en famille à Téhéran sous l’égide de Hâfez aussi mystique que sensuel ou vous décrire l’effet de la psilocybine sur les poissons à Bali. Pourquoi les poissons?…parce qu’ils pètent un plomb, ont un comportement assez délirant alors que je les connaissais calmes plutôt posés. Quant à moi si je partageais ces champignons avec eux je gardais un comportement standard. Il est vrai que j’ai beaucoup discuté avec un aigle qui volait au dessus de moi mais c’est lui qui m’a parlé le premier.

Bien sûr toutes ces années de rencontres et de découvertes sont en accord avec ce que j’avais décidé beaucoup plus jeune: d’abord vivre et quand viendrait l’âge : gagner de l’argent.

La photographie a toujours été comme un tapis volant. Elle me mène ou je veux et m’ouvre les yeux sur les merveilles du quotidien. Bien sûr mes plus belles images sont celles que je n’ai pas osé prendre. Lentement j’ai appris à voir, puis j’ai aimé voir et maintenant même si je n’ai plus d’appareil photo j’ai un oeil : l’oeil de la photographie.

Je suis né en 1947 et ne suis pas encore mort… j’ai 72 ans et ce n’est pas si mal que ça de vieillir…

www.ethnyca.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

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