Cette interview réalisée par Mark Alice Durant est parue dans le magazine Saint Lucy.
J’ai pris connaissance pour la première fois des photos époustouflantes de soldats américains par Suzanne Opton dans Contact Sheet, la publication de Light Work à Syracuse. Ces portraits faussement simplistes, accompagnés des noms des soldats et de la durée de leur séjour en Irak ou en Afghanistan, montre les soldats avec leur tête posée comme s’ils s’abandonnaient sur le sol ou sur un oreiller. Les sentiments que ces photos provoquèrent en moi allèrent de l’empathie à la colère, en passant par l’embarras et l’ambivalence. Ce sont des images de soldat très différentes de celles que j’ai jamais pu voir. Au lieu de poses verticales, en armes et héroïques, nous nous retrouvons face à une vulnérabilité délibérée et déroutante. Les yeux, ces proverbiales fenêtres sur l’âme, sont ouverts mais difficiles d’accès. Est-ce que ce sont les portraits de tragédies incarnées ? Sont-ils des corps sans âmes ? Des anges déchus ? Se moquent-ils de nous ? Ou rendent-ils un hommage ? Que toutes ces questions soient soulevées sans trouver de réponses évidentes traduit le pouvoir de l’art en général, et de ces images en particulier.
La détermination de Suzanne à rendre ces portraits accessibles au public le plus large possible, l’a amenée à collaborer avec Light Work à Syracuse, qui avait sponsorisé les premiers affichages, à 100 kilomètres de Fort Drum où les portraits avaient été faits. L’année suivante, la galerie CEPA les a présentés à Buffalo. Puis en 2008, Suzanne s’est associée à la curatrice Susan Reynolds et ensemble elles ont obtenu un parrainage NYFA et des fonds de fondations privés pour produire un projet artistique itinérant. Les affichages dans les rues et dans le métro ont permis de voir ces images à Denver, Houston, Miami, Columbus, Washington D.C. et Troy, dans l’État de New York.Le projet a obtenu un contrat pour cinq panneaux à Saint Paul pendant la Convention nationale républicaine de 2008, mais il a été annulé à la dernière minute parce que les images semblaient irrespectueuses. Opton répondit alors : « Loin d’être irrespectueuses, ces images sont des rappels vivaces des centaines de milliers de soldats servant ce pays… Depuis que la guerre a commencé, je me questionnais à propos de ces jeunes hommes et femmes qui ont choisi de servir et de mettre leurs vies en première ligne. Je me demandais quelles expériences ils avaient connu au combat et comment ils négocieraient leur retour à la vie civile. En faisant chaque portrait, je voulais regarder le visage d’une personne qui avait vu quelque chose d’inoubliable. Et je voulais en faire une vision sérieuse et intime, de la même manière que je regarderais mon propre fils. »
Lire l’interview de Mark Alice Durant dans la version anglaise de La Lettre