À partir du 8 novembre, la galerie du CAUE92 présente une sélection de documents d’archives accompagnée de travaux photographiques contemporains dans SURVOLS, sa nouvelle exposition consacrée à la photographie aérienne des villes.
Spectaculaire, documentaire, promotionnelle ou critique, la photographie aérienne n’a cessé d’informer les villes et d’en inspirer leur dessin. Cette technique pionnière a contaminé l’art, participé à la conquête spatiale, pris part aux guerres, contribué aux études archéologiques et géographiques, et accompagné le devenir urbain de la planète.
Présentée par la galerie du CAUE92, l’exposition SURVOLS retrace l’évolution des techniques et des usages de la photo aérienne depuis la toute première, prise par Nadar en 1858 au-dessus du Petit-Clamart, jusqu’aux images satellites et la démocratisation de cet outil par Google Earth. Objet d’un engouement populaire, elle se renouvelle avec les drones et Google Earth, et acquiert aujourd’hui une place en propre dans la photographie contemporaine.
L’exposition SURVOLS se développe en deux parties. La première, thématique, s’appuie sur un riche corpus de documents d’archives pour retracer les différents usages de la photographie aérienne et ce qu’elle donne à voir de la ville (ville détruite, exhumée, réparée…). La seconde partie présente une sélection de travaux d’auteurs contemporains, héritiers directs de Berenice Abbott ou René Burri, jouant des caractéristiques, vertus ou dérives de la photo aérienne pour offrir un nouveau regard sur le territoire.
«Quel monde bien rangé aussi – 3 000 Mètres. Rangée comme dans sa boite la bergerie, maisons, canaux, routes, jouets des hommes. Monde loti, monde carrelé où chaque champ touche sa haie, le parc son mur. […] Monde en vitrine, trop exposé, trop étalé, villes en ordre sur la carte roulée et qu’une terre lente porte à lui avec la sureté d’une marée. ».
Antoine de Saint-Exupéry, Courrier Sud, 1929.
LA PHOTOGRAPHIE AÉRIENNE DES VILLES
Le développement de la technologie légère de prise de vue des drones réactive notre fantasme séculaire de l’envol et de la vision aérienne, figure utopique d’une terre paisible et ordonnée que Saint-Exupéry décrivait avec précision dans Courrier Sud. Le success de Google Earth souligne un regain d’intérêt notoire pour l’imagerie aérienne. Quelles richesses, quells mystères et quels pouvoirs le regard en surplomb et le survol du monde nous procurent-ils ? Un renversement de perspective, une nouvelle expérience de l’espace libérée des contraintes physiques, une capacité de surveillance, d’analyse et de cartographie des villes, une source d’évasion ou de compréhension du monde ?
La vue du ciel, à partir du xxe siècle, est tout cela à la fois. Elle imprègne l’art, informe les guerres et la conquête spatiale, les exodes humains, l’extension des villes et leur dessin. Elle appuie les etudes archéologiques, décrypte nos territoires et leurs écosystèmes et accompagne le grand renversement du XXe siècle : le devenir urbain de la planète. L’exposition analyse cette «bascule du regard» qui, à partir du xxe siècle, en architecture et en urbanisme, accompagne la pensée, la pratique, les représentations, mais aussi l’art de bâtir des villes. Un art révolutionné par Gaspard-Félix Tournachon, alias Nadar, quand il réalisa à partir d’un ballon dirigeable, en 1858, à 80 mètres au du dessus Petit-Clamart, la première photographie aérienne.
PREUVE, AIDE-MÉMOIRE ET CONSTAT
Au croisement de trois techniques ou disciplines – l’aéronautique, la photographie, l’urbanisme – la photographie aérienne va prospérer et évoluer constamment, portée par les progrès techniques des engins volants et photographiques, l’expansion des villes et des besoins du renseignement militaires. Ses deux formes majeures, la vue verticale et la vue oblique, la distinguent clairement des vues panoramiques. La première, prise perpendiculairement au sol, va être utilisée pour dresser des plans du territoire integrant le relief grâce à la stéréophotographie. Les images sont ensuite assemblées pour former une portion de territoire, instaurant le collage comme une pratique courante de la vue aérienne. Ne pouvant prétendre à cette exactitude, la vue oblique va être un moyen d’appréhender et lire autrement l’espace urbain ou naturel. Plus que la hauteur, c’est la direction du regard qui définit la vue oblique, qui peut être réalisée depuis une colline, un clocher, etc.
Documentaire par excellence, la vue aérienne devient un outil mis au service de l’exploration du territoire dans ses multiples aspects. Elle suit principalement trois modalités que l’on pourrait décrire de la manière suivante. D’abord le constat, dressant l’état d’un territoire, utilisé pour évaluer les effets d’une catastrophe naturelle ou d’une agression – les destructions causées par un bombardement ou une bataille. On pourrait ensuite parler d’une photographie d’enquête, qui vise à dévoiler des elements dissimulés sur un territoire. C’est typiquement le cas de la photographie de guerre. Il y a également une photographie que l’on pourrait qualifier d’identitaire, qui sert à délimiter les contours d’un objet urbain – une ville ancienne, un bâtiment, – la photographie « fond de plan », sur laquelle on repère et décrit les composants d’un paysage. Elle restitue et fabrique le portrait d’une ville. Réalisées dans le cadre de campagnes menées à l’initiative de sociétés privées ou d’institutions publiques, ces images peuvent voir leur diffusion restreinte à un service technique ou étendue à un très large public.
LA CAMÉRA EXPLORE LE TEMPS
Survolant la ville, la photographie aérienne explore trois temporalités : le temps présent, donnant l’image d’un territoire à l’instant T. Elle explore aussi, de façon inattendue, le temps passé et les civilisations anciennes. À partir des années 20, les aviateurs mettent la vue aérienne au service de l’archéologie. La découverte aérienne de vestiges antiques, révélés par des différences d’humidité des sols et des techniques de développement, se poursuit encore aujourd’hui. Exposant sans fard les tissus urbains, la vue aérienne est une pièce à conviction de choix pour qui en appelle à des changements urbains radicaux. « L’avion accuse ! Il accuse la ville ! Il accuse ceux qui conduisent la ville ! Nous avons maintenant, par l’avion, la preuve enregistrée par la plaque photographique que nous avons raison de vouloir changer les choses de l’architecture et de l’urbanisme ». Chacun aura reconnu ici Le Corbusier dans le rôle du procureur général.
Les solutions remédiant à ces supposés maux urbains seront souvent présentées sous forme de photomontages au sein de vues aériennes, ou sous forme de maquette rappelant cette vision. Aujourd’hui, alors que la vue aérienne s’est banalisée, son emploi, d’usage quotidien, par les urbanistes et architectes est moins démonstratif : la vue aérienne sert toutefois à présenter un site, decrier l’insertion d’un projet. Quant aux vues du passé, elles peuvent être utilisées pour des reconductions montrant l’évolution d’un territoire à travers le temps, témoignant de ses étapes de croissance, ses bouleversements, ses destructions et ses reconstructions. Une confrontation qui intéresse aussi bien les architectes que le grand public, comme en témoignent les nombreux ouvrages proposant des vues aériennes « avant » et « après ».
Dans cet esprit, une première partie de l’exposition restitue l’aspect du territoire altoséquanais depuis les années 20, bien avant la création du département.
GÉOGRAPHIE, SOCIOLOGIE, ENVIRONNEMENT
Travaillant sur les grandes échelles, les géographes se sont naturellement intéressés aux images aériennes, pour illustrer des Atlas ou poursuivre des recherches, voire remplir les blancs de la carte. Privilégiant d’abord la géographie physique et l’étude des reliefs, ils vont progressivement porter leur attention vers la géographie humaine et l’anthropologie, pour aboutir à des questions d’environnement qui vont traverser la photographie aérienne à partir des années 70. L’ascension de l’appareil photo, qui atteint la stratosphère et des altitudes de 900 km au-dessus de la croûte terrestre, la vue de la terre comme une planète bleue réalisée par la mission Apollo 17 réveille une conscience environnementale qui se traduit, dans la photographie aérienne à plus basse altitude, entre 100 et 500 mètres, par la denunciation de l’étalement urbain, de la pollution, du mode de vie consumériste.
DU DOCUMENTAIRE AU STYLE DOCUMENTAIRE
Les drones donnent accès à l’espace aérien, permettant à tout photographe d’être pilote d’hélicoptère. Malgré les restrictions liées au contrôle du trafic aérien, le drone renouvelle l’image aérienne de la ville en autorisant une proximité inédite avec les bâtiments, une immersion dans les entrailles de la ville irréalisable avec les autres objets volants.
Avec ou sans drone, la photographie aérienne change son rapport à la ville, utilisant différentes gammes de techniques pour tenir des propos inédits sur l’urbain : réintroduction de l’humain avec l’utilisation de l’effet Scheimpflug, produisant un effet de flou ramenant la ville à une maquette, intervention numérique accentuant les effets cachés de la perception, recours à l’esthétique de la caméra de surveillance. Adoptant le style du documentaire, cette photographie aérienne de la ville ne veut plus tant parler de l’espace urbain que de la société contemporaine, son rapport à la surveillance, au privé, la place de l’humain dans un univers artificialisé, interroger notre perception du réel, questionner ce qui est vu ou caché, voire introduire une dimension politique propre au photoreportage jusque là absente de la photographie aérienne, etc. Un nouvel avatar de la photographie aérienne et une nouvelle page dans son histoire, qui ne préjuge en rien du futur de ce médium à part.
Olivier Namias.
SURVOLS
8 novembre 2018 – 2 mars 2019
CAUE92 — LA GALERIE
CONSEIL D’ARCHITECTURE D’URBANISME & DE L’ENVIRONNEMENT DES HAUTS-DE-SEINE
9, place Nelson Mandela
92 000 Nanterre
01 71 04 52 49