1970 : un garçon noir, assis sur une statue à l’entrée du tribunal de New Haven (Etats-Unis), crie son désaccord et brandit haut le poing. L’image est iconique, elle fait penser à d’autres mains levées, celles des sprinteurs américains John Carlos et Tommie Smith aux Jeux olympiques de 1968 à Mexico. Le geste est devenu un symbole de la lutte des Afro-Américains hors et à l’intérieur des frontières de leur pays. Et utilisé avec abondance par les Black Panthers, mouvement révolutionnaire créé en 1966 par le militant Bobby Seale et l’intellectuel Huey P. Newton en faveur de la cause noire aux Etats-Unis.
Cette image et bien d’autres, 50 en tout, se retrouvent aujourd’hui sur les murs de la Stephen Kasher Gallery, à New York, dans une exposition coup de poing, pour les 50 ans du mouvement. Elles sont l’œuvre du photographe new-yorkais Stephen Shames, documentariste du parti et de son quotidien à ses plus chaudes heures. On y aperçoit ses membres, ses leaders, ses manifestations, ses drames – comme les assassinats de figures – ou ses diverses initiatives : enseignement, distribution de repas, graffitis à teneur politique, distribution de tracts et de publications. Parmi ces dernières, le journal The Black Panther, édité de 1968 à 1982 entièrement par des femmes (en 1970, plus de la moitié des membres du parti étaient des femmes noires américaines) et dont on retrouve 60 exemplaires dans l’exposition, encadrés au mur en compagnie des photographies et qui se révèle être un clou de l’exposition.
Ensemble, ces documents témoignent de l’héritage durable du mouvement des Black Panthers et de sa radicalité dans sa lutte pour les droits civiques des noirs. Admirés, injuriés, émulés, mal compris, les Black Panthers ont pourtant été l’un des groupes les plus créatifs et les plus influents face aux inégalités économiques et sociales entre les couleurs de peau aux Etats-Unis. Cette créativité, on la découvre notamment dans les pages de leur journal, au travers d’illustrations démonstratives et mordantes, de titrailles habiles et pénétrantes. Des pages aux couleurs vives – rouge brûlant, noir profond – et chargées, d’encre comme de portée politique.
Les photographies de Stephen Shames, elles, sont évidemment historiques, avant d’être magnifiques, dans leur opulence de noir. C’est une plongée au cœur du mouvement, mais aussi dans la démarche de Stephen Shames, du photojournalisme à l’ancienne comme on n’y fait plus attention. Proche des hommes, loin des marasmes du spectacle à outrance. L’esthétique, le cadrage, n’ont pas d’importance. Point de sang, ni d’excès de violence. Ce qui compte ici, c’est l’information, la valeur historique d’une scène. Photographier un objet ou un mur est une investigation. Il y a beaucoup de portraits simples, au grand-angle, de gens qui ne font rien d’exceptionnel sinon que d’avoir la peau noire et se battre pour leur condition. Sur le regard profond de ces hommes et femmes se lit, en filigrane, l’histoire tragique d’une humanité qui, un demi-siècle plus tard, alors que ces images paraissent d’une époque révolue, n’en a certainement pas terminé avec ses déboires du racisme et des inégalités.
Jonas Cuénin
Stephen Shames, Power to the People : The Black Panthers in Photographs
Jusqu’au 29 octobre 2016
Steven Kasher Gallery
515 W 26th St
New York, NY 10001
http://www.stevenkasher.com/