Dès son titre, l’ouvrage de Stephen Ferry affiche son exhaustivité. « Violentology » est directement dérivé du nom des sociologues colombiens spécialisés dans la violence politique et « manuel » est emprunté au registre technique. La situation ne se limite pas a une simple guerre des drogues et Stephen Ferry en fait la démonstration par son approche large du conflit, sa collaboration avec des spécialistes colombiens, reporters et chercheurs, la sobriété de son traitement visuel, la diversité des techniques photographiques, la densité des textes, la variété des ressources documentaires et sa mise en perspective historique. La frise chronologique inaugurale fait remonter l’histoire de la guerre civile colombienne a 1810. Depuis, chaque décade ou presque est témoin de sanglantes oppositions politiques et sociales dont la dernière en date, débutée en 1964 et nommée « conflit colombien » par manque de consensus, a généré le second plus important déplacement de population après le Soudan. La frise se termine à la fin du livre, définissant le cadre d’investigation de l’auteur et donnant une matérialité à la longévité du conflit. C’est une guerre complexe impliquant guérillas marxistes, milices paramilitaires d’extreme droite et forces de sécurité gouvernementales et entrainant dans sa chute la population civile. Elle se déploie dans une hémorragie de violences, de meurtres, de disparitions – pertes humaines auxquelles répondent d’inexorables pertes matérielles – et, très largement, de menaces. A chaque paramètre de cette équation insoluble correspond un chapitre. L’introduction est consacrée aux reporters locaux, qui rendent compte au risque de leur vie de la réalité d’un conflit caricaturé à l’extérieur des frontières. C’est un reportage du photographe colombien Jesus Abad Colorado qui a éveillé l’intérêt de Ferry en 2000 et dont les compères sont devenus des alliés d’investigation. C’est également les archives des quotidiens locaux qui ont aiguisé sa connaissance du conflit et dont il présente une sélection d’images datées des années 50. Par respect admiratif pour ses médias engagés, Stephen Ferry mêle histoire et réalité d’aujourd’hui dans la tradition des reporters colombiens, à qui il a réservé la couverture de son ouvrage imprimé sur les presses du quotidien bogotano El Espectador. La texture granuleuse et souple de ce papier de 70 grammes fait du parcours de « Violentology » une expérience visuelle et tactile qui requiert patience et attention. La sobriété éditoriale ne tolère aucune distraction susceptible de détourner le lecteur d’un sujet grave. Il rappelle le pouvoir déclinant des médias papiers que la voix enragée a rendu inaudible – un poème de son père illustre ce sujet -, d’un médium aussi direct que la photographie, et propose une approche novatrice pour renforcer leur impact. Pour faire connaitre ce travail auprès de la communauté locale qu’il documente et d’une audience internationale qu’il veut faire réagir, Ferry propose une diffusion tripartite – livre, exposition, et livrets gratuits -, proposant des supports alternatifs à un Internet omniprésent mais toujours élitiste. La peinture y joue aussi un rôle clé, référence aux affiches de propagandes communistes comme on en voyait du temps de Mao, ou contre-pouvoir d’expression dans le cas d’artistes comme Botero. C’est encore une peinture, en conclusion, d’une colombe peinte sur un mur, symbole de paix virevoltant dans un paysage abstrait fait de couleurs et non de formes, qui rappelle que le propos de Ferry n’est pas pessimiste mais réaliste. Livre référence de presque deux cents pages que son auteur a mis dix ans à compiler, “Violentology: A Manual of the Columbian Conflict” bouleverse par sa perspicacité a étudier de l’intérieur chaque organisation impliquée dans un conflit qui, on l’apprend dans les remerciements, a failli lui couté la vie.
Laurence Cornet
Violentology: A Manual of the Colombian Conflict
Photographies et texte de Stephen Ferry
Essais de Gonzalo Sánchez et María Teresa Ronderos
Umbrage Editions
184 pages
$50