À Cherbourg-en-Cotentin, Le Point du Jour expose Camille Fallet. Le photographe s’est intéressé aux standards du paysage et de l’architecture. Sa réflexion photographique longue de plusieurs expériences souligne ce que peut représenter le Grand Paris. Seul, au moyen d’une carte Michelin, à vol d’oiseau, il a parcouru l’entité administrative. Il livre une anthologie fragmentée et amusée de ce territoire indéfini aux frontières floues.
Disons-le d’emblée, le Grand Paris est quelque peu absent de l’exposition. Trois œuvres seulement viennent illustrer explicitement l’entité administrative. Elles sont tirées de son recueil The Greater Paris Landscape Manual. Le photographe explique plutôt la construction de paysages standardisés. Il se demande comment « le paysage se génère, ». Comment celui-ci s’uniformise, se banalise ? Dès lors, comment reconnaître les topographies de la banalité ? L’exposition vient compléter son recueil. Elle livre une réflexion sur des paysages plats ordinaires, bétonnés, manufacturés, traversés par l’usuel. Ce que révèle Camille Fallet, c’est l’immensité du plat, l’aveu de la banalité du quotidien.
Jeff Wall (Landscape Manual), Brian de Palma (Blow-Up) et Dan Graham (For Publication) ont pensé le paysage comme un fragment. Camille Fallet les cite comme influence dans sa pratique de la photographie documentaire, aux côtés de Walker Evans. D’eux naît sa curieuse ironie pour la banalité des topographies.
L’artiste propose une histoire personnelle de la banalité architecturale. Il re-photographie la ville de Bethléem (Pennsylvanie) comme le fit Walker Evans. Les décennies ont passé, les maisons en enfilade aux balustrades uniques et les clochers rythment toujours le quotidien morne. À Marseille, cité Bellevue, il illustre le progrès des années 1960, tombé en désuétude.
Dans une mise en scène magnifique, à la suite d’une commande de la ville de Bordeaux (Bordeaux sans légende), Camille Fallet étale sur plusieurs mètres des fragments. Il saisit ce que les habitants voient tous les jours. Ce que précisément l’habitude finit par gommer. L’usuel. Le béton. Les échangeurs, ronds-points, devantures, panonceaux, inscriptions tapageuses, commerces à deux sous, immeubles, tours, barres. Il est marqué par les utopies architecturales des trente glorieuses et s’étonne de voir comment s’opère « la colonisation des sols ».
L’anthologie Bordeaux sans légende aide à comprendre ces nouvelles villes. Avec Bordeaux, Camille Fallet a voulu voir à quoi ressemble véritablement une ville. Cela implique de regarder son centre-ville historique, mais aussi sa périphérie, ses quartiers endormis, son hors-périphérique. Ses ronds-points, ses places, devantures. Cette démarche n’aspire à aucune esthétique sinon l’impossible exhaustivité.
Par ces différents détours, on comprend comment le Grand Paris s’est bâti. Pour certains, il est une aberration administrative, pour d’autres une entité vaguement géographique. On peut toutefois le comprendre par l’image. Format portrait, celui d’un trop vaste territoire pour être arrêté en trois mots et cinq paragraphes. Aux confins de la région, des villes nouvelles. Marne-la-Vallée, Cergy, Val d’Europe, Mélun-Sénart, Grigny… Chaque maison vaut un travail. Aux pavillons succèdent les banlieues. Aux banlieues commence l’autoroute. On y dort, on s’y tait, on y vit, on l’oublie. C’est l’artificiel de la banalité.
Arthur Dayras
Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.
Camille Fallet, Standards
Du 4 février au 27 mai 2018
Le Point du Jour
109 Avenue de Paris
50100 Cherbourg-Octeville
France