On dit de Jean-Philippe Charbonnier qu’il est un oublié de l’histoire. L’un de ces grands photographes méconnus de l’après-guerre, écarté de l’exposition The Family of Man (1955) par l’influent Steichen pour son regard « sans idéalisme, sans foi dans l’homme », alors que ses compatriotes — Cartier-Bresson, Sabine Weiss, Doisneau, Boubat — en firent partie. Le voici pourtant à l’honneur d’une exposition au Musée d’art moderne de Paris (MAM) et dans un ouvrage publié aux éditions Séguier, rédigé par Emmanuelle de l’Ecotais, qui retrace son exploration des rues de Paris et du quotidien de ses habitants.
Comme annoncé d’emblée dans le livre, Jean-Philippe Charbonnier, décédé en 2004, préférait poser sur le monde un regard ironique et dramatique, presque au contraire de ses contemporains, les dits humanistes, attachés à pardonner, adoucir les traits, gommer les défauts, embellir la réalité. Manifeste d’une génération dorée, que Roland Barthes qualifiera, comme d’autres, de trop « tendre » et trop « optimiste ». Ce cercle qui dictait les lois de la photographie d’alors, Charbonnier n’en fera jamais vraiment partie, mais il en restera proche, et formera en aparté, dans la revue mensuelle Réalités, un remarquable tandem avec Edouard Boubat. Aussi faut-il admettre que Jean-Philippe Charbonnier n’était pas un photographe “humaniste”, mais davantage un réaliste, pas prêt à la complaisance ni au compromis, mais dont les images ont le même pouvoir émotionnel, car brutes, singulières, mais authentiques. Les alliés de Jean-Philippe Charbonnier se nomment alors André Kertész, Gisèle Freund ou Agathe Gaillard, celle qu’il épouse et qui deviendra, en 1975, la première à ouvrir à Paris une galerie uniquement dédiée à la photographie, où se retrouveront d’autres photographes discrets mais atypiques,comme Hervé Guibert ou Manuel Álvarez Bravo.
De Paris, il aimait… les enfants de la Libération, les passants, les commerçants, les femmes des cabarets — celles qu’il, un peu comme Bill Brandt, amenait et dénudait chez lui en se jouant des formes —, les pavés, les gares, les terrains vagues, les immeubles qui se collent et comparent leur taille. Parmi les plus belles photographies, citons celles de ces bambins qui le dévisagent ou celles qui font disparaître les regards, sous un flou et un grain revendiqués comme style, aux antipodes des codes communs de l’époque. Outre celui de la rue, il s’est épris du charme de la scène, et photographiera pour la mode Miles Davis, Juliette Gréco ou encore les coulisses de l’Opéra ou des Folies Bergère. Issu d’une famille d’artistes, Jean-Philippe Charbonnier était un touche-à-tout et un homme qui vouait une grande passion aux voyages. Ainsi, pour Réalités, il parcourra le monde : Congo, Gabon, Turquie, Indochine, Inde, Yougoslavie, Iran, Monténégro, Canada, Kenya, Brésil, Alaska… Toujours avec le même regard, celui de l’instinct et de la réalité brute. Tendance qui l’amènera aussi à privilégier le grotesque, le tragique ou le comique, et à aller à l’encontre de l’esthétique du beau. « Je ne crois pas au génie, surtout en photographie, écrit-il en 1961. Il est dans la nature, l’ordre ou le désordre des choses (…) À nous de voir, de savoir être dans le champ magnétique de cet ordre miraculeux, fugitif ou latent. »
LIVRE
L’œil de Paris
Jean-Philippe Charbonnier
Editions Séguier
Format: 15x21cm
79 photos – 104 pages
ISBN: 9782840496939
Prix: 10 €
http://www.editions-seguier.fr
EXPOSITION
L’œil de Paris
Jean-Philippe Charbonnier
Commissaire : Emmanuelle de l’Ecotais
Jusqu’au 14 février 2015
Crédit Municipal de Paris
55 rue des Francs Bourgeois
75004 Paris
01 44 61 64 00