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Souvenirs de Nicolas Havette

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Nicolas Havette est le directeur de la fondation Manuel Rivera Ortiz qui organise chaque année une dizaine d’expositions.
En mai 2002, je me rends à Arles pour la première fois pour passer le concours d’entrée à l’Ecole Nationale Supérieur de la Photographie.
Je rêve de rester pour découvrir « Les Rencontres » qui se profilent. Encore étudiant aux Beaux-Arts et n’ayant pas les moyens financiers, armé de mon CV je monte fébrilement les marches du bureau du festival – qui se trouve encore au rond point des arènes, là ou aujourd’hui se déroulent les stages durant tout l’été. Je n’ai pas encore atteint les bureaux au premier étage que je croise le régisseur du festival qui descend en trombe et qui me hèle : « hey toi ! Qu’est ce que tu fais cet été ? ». Je bredouille que je viens justement chercher un travail pour pouvoir rester à Arles et assister au festival, pour comprendre comment ça marche de l’intérieur. Il me répond du tac au tac : « T’es embauché! tu commences dans une semaine !». Ainsi commence ma jolie histoire avec les Rencontres. Pierre de Cazeneuve, le régisseur ne fera plus partie de l’équipe l’année d’après.
Je pousse des caisses de transports, constate l’état, accroche et manipule avec émerveillement les oeuvres que jusque là je n’avais vu que dans les livres au fond des bibliothèque des écoles d’art par lesquelles j’étais passées. Je passe l’été avec cette nouvelle « famille des Rencontres ». L’équipe technique travaille d’arrache pied avec peu de moyen, mais c’est une belle équipe et les liens se nouent rapidement : Garry, François, Agnès, Olivier, Christophe, Alain… L’été arlésien… il est doux et joyeux. En septembre j’intègre le rang des étudiants de l’école photo, comme on l’appelait avant et qui, sous la houlette de Patrick Talbot, deviendra plus tard l’Ecole National Supérieure de la Photographie.
Durant ces treize dernières années, c’est cette évolution que j’ai pu suivre : l’école photo qui devient l’ENSP. Je vois, et vis le passage de cette association au rang d’institution nationale qui entre dans les normes européennes des écoles et diplôme universitaires, et en parallèle le festival photo, association presque artisanale qui se transforme en « machine de guerre ». Le festival se professionnalise et établit des exigences et des standards élevés sur la scénographie, l’accueil du public, la communication, les stages, et qui devient petit à petit un modele d’entreprise culturelle au plan international.
« les RIP » qui deviennent  Les Rencontres d’Arles s’exportent aujourd’hui dans le monde entier, pour leur histoire mais aussi pour leur savoir faire .
Au travers de ces histoires croisées entre l’école et le festival on voit poindre une histoire courte de ce début du XXIe siècle : un joyeux bordel créatif qui se construit lentement pour ensuite progressivement se « protéger » contre « la concurrence » et se sécuriser face aux aléas des politiques. On pourrait appeler cela de la maturité, ou devenir adulte ou même «vieillir».
En première année je deviens président de l’association des étudiants de l’école photo et crée avec les membres de l’association « les WIP » (Work In Progress) qui prendront place pendant presque 10 ans dans l’église Saint Julien (rue du quatre septembre) et qui aujourd’hui cherche de nouveaux soutiens (www.aeensp-arles.fr). Cette aventure n’aurait pu voir le jour sans le soutien et la grande bienveillance de l’administrateur général du festival à l’époque qui n’était autre qu’Alain Arnaudet, aujourd’hui directeur de la Friche de la Belle-de-Mai.
L’été suivant les Rencontres prennent possession pour la première fois du territoire et des espaces des ateliers SNCF sous la direction du nouveau re-venu François Hébel. Un chantier immense. Etre les premiers à pénétrer dans ces friches encore inadaptées pour accueillir le public est une telle chance. Nous, les petites mains derrière les expositions : nettoyer, construire, aplanir ces espaces immenses… je me souviens de mes premières pensées face à ces volumes, alors que nous vidions les derniers tuyaux remplis de carburant et d’huiles usagées : « Comment des photographies vont-elles pouvoir résister à la force et la majesté de ces bâtiments », comment des photographies vont pouvoir cohabiter avec l’histoire profonde de la conquête du rail qui habite ces lieux…
Certains noms des bâtiments évoquent ce passé ouvrier (qui aujourd’hui laisse place à une autre histoire): le magasin électrique, la vie du rail, la chaudronnerie, la grande halle…
Force est de constater que l’occupation n’a pas toujours été réussie, et que les efforts des photographes et des scénographes ont souvent perdus face à la nostalgie des lieux, mais parfois dans un éclair de génie et de beauté certaines expositions dansent avec ces espaces, je pense notamment à l’exposition extraordinaire de Wolfgang Tillmans programmé par la Fondation LUMA en 2014 qui avait pris la mesure des lieux. Ou les projets dissidents comme OFF BROADWAY en 2004. A quand une MONUMENTA à Arles 🙂
Je quitte l’école photo en 2006, et pendant 5 ans navigue entre Etats-Unis, Chine, Cambodge, Birmanie, Serbie…  mais chaque été l’élastique du coeur et de la raison me ramène à Arles pour travailler pour le festival.
Je passe par tous les postes techniques : régisseur, protocole, Roadie, organisateur des Soirées des Rencontres…  et finalement, après beaucoup de pérégrinations fin 2011 je reviens m’installer à Arles au moment ou Pierre Hivernat me propose de prendre la direction de la galerie Le Magasin de jouets, où je vais officier pendant 8 ans. En parallèle de l’expérience des soirées à Arles, il me semble qu’un pan entier de la photographie est délaissé : la photographie sur écran. Sur une volonté et un investissement sans faille de Guillaume Chamahian nous créons le premiers festival dédié au film-photographique : LES NUITS PHOTOGRAPHIQUES dans le parc des buttes Chaumont. Ce festival était directement héritier de nos expériences arlésiennes. Nous aimions l’ambiance des Voies Off et l’exigence des Rencontres pour leurs projections. Nous, nous  voulions pousser plus loin la réflexion sur le statut de ces « films » fait avec des photos sur un écran. Dans l’histoire de ce medium, les photographes courent après la publication de livres, comme un graal. Puis viennent les expositions plus ou moins réussies selon les espaces et les moyens, par contre l’écran a quasiment toujours été considéré comme un relais communication, une manière de faire de la « pub » pour l’expo ou pour le livre, quasiment jamais comme une oeuvre à part entière, alors que l’immense des majorités des images transitent aujourd’hui par interfaces et écran, quelle erreur de négliger cette création… le risque de la photographie d’être perçue  « has been »  par les institutions ou les politiques rôde. Alors que, rappelons nous les premières grandes années de F. Hébel à Arles : c’était l’occasion de découvrir pour la première fois la projection « Balad of sexual dependency ‘ de Nan Goldin, coup de poing et de vie sur grand écran… On peut citer également « La jetée » de Chris Marker et par extension les films surréalistes, comme « l’étoile de mer » de Man ray »… Par manque de soutien et d’épuisement, à porter cet événement pendant 5 ans à bout de bras, le festival s’est lentement éteint, alors que Circulation s’envole, un choix de soutien des institutions que j’ai encore du mal à comprendre aujourd’hui. Mais cela devait se passer dans les bureaux que je ne fréquentais pas. Fin de l’aventure.
Et début d’une autre : en 2015 la Fondation Manuel Rivera-Ortiz pour le film et la photographie documentaires s’installe à Arles.
La progression hors norme des Rencontres, doublée de l’investissement et de l’installation de « La Tour LUMA », étendard titanesque de la Fondation, attirent.
Au coeur de la ville, cette nouvelle Fondation dédiée au soutien à l’image documentaire (et accueillie de manière volontaire par le conseil municipal arlésien), vient à point nommé. J’y vois une belle aventure démarrer et une « cause » à défendre. J’en assure la direction artistique depuis 2016. Depuis deux ans notre programme est accueilli par Sam Stourdzé et Aurélie de Lanlay au sein du programme « Arles associé » du festival, et je tiens ici à les en remercier profondément. Ce partenariat permet de mettre en valeur le travail de photographes engagés et à installer durablement dans le paysage ce phare de l’image documentaire. A Arles, toujours les lignes se croisent, les destins s’embrassent et la ville se transforme. Car, ne l’oublions pas, le festival n’est pas hors sol, il puise sa force dans l’énergie des lieux, des hommes et des femmes qui vivent toute l’année dans cette petite cité ancrée dans un immense territoire sauvage. La nuit de l’année a engendré la Nuit de la Roquette. Les Voies off, poisson pilote du festival devenu presque institution, fédèrent des centaines d’initiatives…
C’est beau de voir tout cela évoluer, les acteurs jouer leurs partitions. C’est comme un village global, ou l’on voit dans un microcosme les enjeu globaux.
Il ne manque plus que toutes les volontés convergent afin de non pas dominer, mais travailler en cohésion. Diminuer les égo et tracer des lignes communes.
Mais cette histoire là reste à écrire.

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