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Simon Baker : « La MEP se distingue par l’incroyable mémoire de sa collection »

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Le commissaire anglais Simon Baker, ancien directeur du département photographie à la Tate de Londres, a été nommé directeur de la Maison Européenne de la Photographie, à Paris, le mercredi 24 janvier 2018, succédant à Jean-Luc Monterosso, directeur et fondateur de l’institution. Il s’est livré à L’Œil de la Photographie sur son nouveau rôle.

Début février, vous avez été nommé à la tête de la Maison Européenne de la Photographie. Vous quittez l’Angleterre pour la France, un pays que vous connaissez bien. Que pensez-vous personnellement de la Maison Européenne de la Photographie ?

Eh bien, c’est un grand honneur d’être nommé à la MEP. C’est une institution très importante, avec une importante collection également. L’ancien directeur, Jean-Luc Monterosso, a fait un travail formidable pendant près de trente ans. C’est un défi très excitant de prendre le relais et je suis extrêmement honoré d’avoir été choisi. J’ai été surpris, car il y avait de solides candidats et ce fut un processus très difficile.

Quand allez-vous commencer à travailler ?

En mai. Jean-Luc va officier jusqu’à la fin mars. Il y aura un écart en avril et je viendrai au mois de mai. Shape Of Light: Hundred Years Of Photography and Abstract Art, la toute dernière exposition sur laquelle je travaille à la Tate Modern, sera installée à la fin du mois d’avril. Ensuite, j’arriverai en France.

Vous étiez à la tête du département photographie de Tate à Londres. Comment considérez-vous votre nouvel emploi à la MEP ?

Il y a une énorme différence entre les deux institutions. La Tate est une énorme machine, une énorme collection sur tous les supports. Et en fait, je n’étais pas le chef du département, en tant que tel, parce que tous les conservateurs travaillent ensemble ici. Nous n’avons jamais eu la manière française ou américaine de construire un département photographique. Mais j’étais vraiment l’avocat de la photographie au sein du musée. La MEP, elle, est déjà un grand et puissant défenseur de la photographie. Je n’aurai pas à convaincre les gens. Je prévois de collaborer avec l’équipe pour utiliser leur expertise. Je vois la photographie comme le cœur de nombreuses pratiques qui se croisent. Je m’intéresse beaucoup à la façon dont la photographie touche d’autres médias : la mode, le design, la musique, la performance. Je suis venu de ce contexte où la photographie est ancrée dans d’autres types de pratiques.

Est-ce quelque chose que vous avez essayé d’accomplir à la Tate également ?

Oui, l’exposition de photographie abstraite que nous allons proposer est un bon exemple. Il y a beaucoup de peintures abstraites et de travaux issus d’autres médiums. Nous nous intéressons à montrer comment les photographes peuvent être aussi expérimentaux que d’autres artistes en peinture ou en sculpture. Les expositions que nous avons réalisés à la Tate, comme celle de William Klein ou celle sur le thème « performance et photographie » expliquaient comment et pourquoi la photographie était si importante par rapport à l’art en général.

Les dernières décennies ont vu un intérêt croissant pour la photographie dans les musées. La Tate ou le Centre Pompidou ont maintenant de grandes expositions sur la photographie, de grands départements aussi. Il y a maintenant une concurrence entre les musées généraux et les musées historiques consacrés à la photographie, comme la MEP. Quelle est la voie à emprunter pour la MEP en ce qui concerne ce rapport de force ?

Le contexte de la photographie et la raison de l’établissement de la MEP ont changé. Lorsque Jean-Luc l’a créé, la photographie n’était pas largement comprise en tant qu’art. C’était presque une niche, il y avait un nombre relativement restreint de collectionneurs et de conservateurs passionnés. Ils ont dû argumenter pour permettre à ce medium d’avoir de l’importance dans les musées. Ce moment est passé. Aujourd’hui, tout le monde a un appareil photo sur son téléphone.

La collection était-elle l’une des principales raisons pour lesquelles vous avez postulé pour la direction ?

Bien sûr ! Vous savez, nous avons une superbe collection à la Tate mais elle est aussi jeune que mon temps dans cette institution. Si l’on oublie les musées nationaux, la MEP est la seule institution qui collectionne la photographie à Paris. Elle se distingue du Bal, de la collection Cartier-Bresson ou du Jeu de Paume. Elle a un rôle unique. Le travail du nouveau directeur est de respecter et de montrer cette collection. Pour en profiter au maximum, il faut s’assurer qu’elle est bien utilisée. En même temps, nous devons accepter que la photographie a changé. Nous avons besoin d’une compréhension globale de la photographie, d’embrasser les nouvelles pratiques en photographie et de respecter son patrimoine.

À propos de la collection : quel artiste aimeriez-vous mettre en avant en premier ?

Jusqu’à ce que je sois là, il me paraît difficile de répondre à cette question. J’ai vu la collection tout comme le public. Je l’ai vu quand elle a été exposée à Arles, il y a trois ans. Je pense que jusqu’ici, beaucoup de gens ne réalisaient pas à quel point la collection est incroyable. L’été dernier, j’étais à Paris et il y a eu cette merveilleuse exposition sur la collection japonaise (Mémoire et lumière, photographie japonaise 1950-2000: la donation Dai Nippon Printing Co Ltd). C’était à couper le souffle. C’était vraiment bien choisi, ils y avait des chefs-d’œuvre.

Y a-t-il encore beaucoup de travail pour que nous ayons une meilleure compréhension de la photographie japonaise de nos jours ?

Oui bien sûr. Ce n’est vraiment que le début. L’essor de la photographie japonaise, en particulier l’intérêt pour les annuaires, n’a commencé sérieusement qu’au cours des dix ou quinze dernières années. Nous venons juste de commencer à comprendre ce qui est important au Japon, comme les séries basées sur les livres. Je pense que nous avions une vision assez superficielle de la photographie japonaise à travers plusieurs grands noms mais il y a encore plus de profondeur et de complexité et de subtilité à découvrir dans cette histoire. Au cours des dernières années, j’ai travaillé dans les archives de Masahisa Fukase. Fukase était connu pour Ravens et pour quelques autres choses. Mais il y a tellement de travail à découvrir. Quand vous plongez dans la pratique d’un artiste, vous trouvez beaucoup de trésors. En outre, avec le Japon en particulier, nous devons comprendre la photographie dans sa relation avec les livres. Il y a une autre histoire qui se trouve sur une page, plutôt que sur un mur. Et vous obtenez une autre tradition. Mon intérêt personnel pour la photographie vient de magazines surréalistes comme La Révolution Surréaliste, Minotaure ou Documents où furent publié Brassaï et Man Ray. J’ai donc l’habitude de penser à la photographie imprimée. Penser la photographie par le livre plutôt que le mur est dans l’air du temps. Et souvent, ces photographes diraient aujourd’hui : « Oh, en fait, nous n’avons jamais exposé toute la série sur un mur. Il n’y avait pas de demande d’expositions mais plutôt pour des livres ». Le MEP a une collection de livres incroyable, et une bibliothèque merveilleuse, qui aident à constituer l’histoire de la photographie. Ils ont toujours été vraiment, vraiment en avance à cet égard.

Quelles seraient vos idées pour développer le musée en tant qu’espace de vie ?

C’est une chose à laquelle tout nouveau directeur doit penser. La façon dont le public s’attend à visiter un musée a changé. À la Tate, les gens viennent et ils s’attendent à se sentir chez eux, ils s’attendent à être accueillis chaleureusement, qu’ils soient jeunes, vieux, et d’où qu’ils viennent. Il y a une attitude différente des gens dans l’espace d’un musée. Ce n’est pas comme si la MEP ne pouvait pas être comme ça. Les temps ont changé. Le musée du futur sera une institution beaucoup plus ouverte. Il faut rester très accueillant, très chaleureux, invitant, pour que le musée soit un espace social chaleureux autant qu’un espace didactique.

Il semble que le « respect » soit l’un des mots clés de votre conception d’un musée ?

La question de la continuité est directement liée à la question de la perpétuation d’une collection. Si vous êtes comme une Kunsthalle (littéralement espace culturel, en allemand), un nouveau directeur peut arriver et réécrire complètement le programme. Mais si vous êtes dans une institution collectionneuse, la collection est la mémoire de l’institution. Ça ne s’efface pas. Tout ce qui est recueilli dans une institution fait partie de cette mémoire institutionnelle. La différence entre la MEP et ses voisins est cette incroyable mémoire. Un nouveau directeur ne peut l’effacer, il doit puiser dans cette mémoire pour construire l’avenir. Bien sûr, je peux avoir des divergences avec Jean-Luc. Nous venons de différents pays et générations. Mais nous avons probablement aussi beaucoup de choses en commun. Quoi qu’il en soit, quand je lisais son introduction dans le livre sur la collection (Une collection, Maison Européenne de la Photographie), je trouvais étonnamment étrange que ses règles de collecte soient à peu près les même que j’avais écrites quand je suis arrivé à la Tate.

Quelles seraient ces règles ?

Ces idées : collectionner en série, collectionner par rapport aux livres photo, avoir plus d’œuvres de moins d’artistes et avoir toute la série si possible. Il a commencé la collection avec Robert Frank et William Klein. La première exposition que j’ai réalisée à la Tate réunissait Klein et Moriyama. Même s’il a commencé longtemps avant moi, la collecte de ce genre était une chose sur laquelle nous étions d’accord. La série illustre souvent comment les photographes conçoivent leur travail, c’est ainsi que nous devrions le comprendre et le montrer. Il y a relativement peu de photographes qui diraient : « Je fais juste une image et elle est autonome et hermétique ». C’est assez inhabituel. Montrer une série aide le public. Plus vous montrez de travail, moins vous avez besoin d’étiquette murale (rires).

Quelle est votre vision de l’environnement photographique français par rapport à l’environnement britannique ?

Eh bien, je dirais qu’il y en a un [environnement en France] (rires). Ici, c’est très petit, c’est relativement discret. La publication, par exemple, est vraiment bonne ici, à Londres. Mais il y a encore relativement peu de galeries consacrées à la photographie. Nous avons toujours une seule institution dédiée (The Photographer’s Gallery). Si vous comparez cela avec Paris, où on en dénombre quatre, c’est vraiment différent.

Juste après ma nomination à la MEP, de nombreux journalistes photographes de journaux et de magazines voulaient me parler. Nous n’avons tout simplement pas autant de journalistes spécialisés en photographie en Angleterre. En France, j’ai fait des interviews avec France Inter, avec Le Monde, Paris Match, Le Figaro. Ce niveau de presse ne couvrirait pas la photographie en Angleterre. Ce n’est pas si important. C’est très, très différent. Il y a deux ans, votre ancien président François Hollande est venu à Arles. Je ne peux pas imaginer un Premier ministre ou un chef d’État venir à un festival de photographie au Royaume-Uni. Quand vous avez eu une exposition Cartier-Bresson à Pompidou, vous aviez près d’un demi-million de visiteurs. C’est incroyable que cela puisse arriver ici. C’est ce que nous avions pour Damien Hirst ou Matisse. Le niveau de contrôle, l’enthousiasme en France est beaucoup plus fort. Cela ne veut pas dire que je suis négatif à propos de l’Angleterre. Travailler ici a été formidable, et je suis heureux d’avoir contribué à l’enthousiasme pour la photographie.

Êtes-vous satisfait de votre travail accompli au Royaume-Uni ?

Je pense que les choses viennent de commencer ici. Il y a eu des succès et des défaites. Nous avons fait de belle expositions à la Tate. Whitechapel a également fait de brillantes expositions. Et bien sûr, PhotoLondon a démarré. Il y a un long chemin à parcourir avant d’atteindre le même niveau que la France.

 

Propos recueillis par Arthur Dayras

Arthur Dayras est un auteur spécialisé dans la photographie qui vit et travaille à Paris.

www.mep-fr.org

 

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