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Silvio Galardi par Michel Puech

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Un aventurier du photojournalisme des années 50’

Tout est affaire de rencontre. Cherchant à enregistrer les témoignages d’anciens du photojournalisme d’après-guerre, j’interviewais Russel Melcher, cet américain fondateur d’une agence appelée Omnicron qui devint picture-editor au bureau parisien de Magnum Photos. Russ, comme ses amis l’appelle, m’évoque une agence dont j’ignorais tout : Telephoto. Elle a été fondée par un dénommé Silvio Galardi. Un parfait inconnu, un curieux personnage…

Je ne savais rien de lui. Je n’avais pas croisé sa signature dans mes recherches sur les agences photo des années 50 et 60, mais, son nom figurait sur ce site par erreur sur la fiche de l’agence Vip Press. Un beau matin, je reçois un message d’un de ses petits-enfants. Adriano cherche à mieux connaitre ce grand-père qu’il n’a pas connu, et, du coup relance ma recherche sur Telephoto et Silvio Galardi.

Sylvère Victor Galardi est né à Marseille le 16 juillet 1921, il est plus connu, si l’on peut dire, sous le nom de Silvio Galardi ; mais, au fil des jours d’enquête je découvre qu’il signait également Sylvaire ou Sylvere, et, parfois raccourcissait son nom de famille en Galar, sans « i ». A Marseille, il a un bon copain, Etienne Leandri, qui deviendra plus connu que lui, surtout dans la presse et les tribunaux, à propos des affaires de Charles Pasqua.

Lorsque la seconde-guerre mondial éclate, Silvio Galardi a 19 ans. Il semble embrasser la cause de la résistance au fascisme puisqu’il figure dans les registres comme ayant appartenu aux Forces françaises combattantes (FFC), aux Déportés et internés de la Résistance (DIR), aux Forces françaises libres (FFL)[1]. Il aurait été arrêté par la Gestapo et déporté en Autriche dans le cadre de l’opération Meerschaum, en partant de Compiègne le 20 avril 1943. 997 hommes dans ce convoi destiné au camp de Mauthausen (Matricule 28063) où ils arrivent deux jours plus tard. Silvio est ensuite détenu dans les camps de Gross-Rosen, de Flossenbürg puis de Leitmeritz. Il est libéré le 20 mai 1945 à Longuyon.

Dans ce même convoi de déportés du 20 avril 1943, il y a André Lacaze (Matricule 28214) et au camp de Gross-Rosen, Yves Le Tac. La famille Le Tac comprend plusieurs membres engagés dans la résistance au nazisme notamment Yvonne Le Tac[2] et ses enfants. « Joël Le Tac [3] avec son frère, Yves Le Tac [4] se rallient, très jeunes, au Général de Gaulle, et ils organisent la mission Overcloud, pendant la seconde guerre mondiale, qui a consisté, outre le fait d’établir des contacts entre Londres et des groupes de résistants, parmi lesquels des cheminots, en Bretagne à mettre en place un dispositif assurant, grâce à des canonnières rapides, une liaison aller et retour sûre entre la France et l’Angleterre…/…Durant les années 70, Yves Le Tac va militer parmi les gaullistes de gauche, aux côtés de Maurice Clavel et de Solange Troisier, et il prend la présidence de l’association de la Ligue pour la dignité de l’enfant.[5] »

« Selon un rapport de la DST, Silvio Galardi aurait collaboré avec la Gestapo pour la recherche de biens israélites [6] », mais il s’agit peut-être d’une confusion avec son « père [qui] aurait appartenu avant-guerre au club national de Darquier de Pellepoix pronazi et antisémite, directeur du journal La France Enchainée[7] »

Après-guerre, le photojournalisme

La guerre a bouleversé les mentalités, brassé les hommes… Silvio Galardi est-il toujours en amitié avec Etienne Leandri ? On ne sait, mais, en mai 1948, il est envoyé à Francfort-sur-le-Main par Les Actualités Françaises (actualités cinématographiques) où il est arrêté le 26 septembre 1948 alors qu’il tente découler 13 000 dollars de fausse monnaie[8] . Il est condamné à cinq ans de prison.

A son retour à Paris, Il contacte André Lacaze, Yves et Joël Le Tac qu’ils a connus en déportation. Joël Le Tac et André Lacaze travaillent désormais à Paris Match. Il va commencer à piger comme photographe pour l’hebdomadaire. Le 14 juillet 1951, il manque d’être lynché par une foule outrée par le lancement d’un fumigène sur une manifestation rassemblant des partis d’extrême-gauche dont le PCF. Blessé, il est conduit à l’hôpital et il est mis hors de cause par les témoignages de ses confrères de France-Soir et de Paris Match. Mais, le 13 septembre 1951, il est dénoncé ainsi que son ami Joël Le Tac pour avoir participé à des attentats anti-communistes. De fait, il y a de nombreux attentats cet été-là contre des librairies communistes et même contre le quotidien Le Patriote à Nice….

Après-guerre, « Il était un peu perdu, fatigué et il venait fréquemment en Bretagne dans notre maison de famille, C’est là que je l’ai connu [9]» se souvient l’écrivaine Monique Le Tac (fille d’Yves Le Tac) qui fut son épouse et avec laquelle il a eu deux enfants. Mais, elle ajoute « Je sais peu de choses de sa vie, car il considérait qu’il y avait des histoires d’hommes dont les femmes sont exclues. Je sais qu’il a séjourné aux Etats-Unis où il a été correspondant pour des journaux français et peut-être aussi pour la CIA… Je sais aussi qu’il a travaillé dans une boite de nuit tenue par une certaine Noëlle Duval (?) pendant quelques mois … ». Le photographe Russel Melcher confirme que Silvio Galardi était très ami avec plusieurs patrons de boites de nuit parisiennes, peut-être grâce aux contacts de son ami Etienne Leandri qui fut un célèbre gigolo avant et pendant la guerre.

Silvio Galardi commence alors une carrière de photographe essentiellement pour Paris Match dont André Lacaze est devenu chef des informations. En 1953, Le Général de Gaulle n’est plus au pouvoir, il entreprend une tournée en Afrique, espérant redorer son blason. Il est un peu oublié par « l’ingrate nation ». Jacques Foccart organise le voyage. De Gaulle ne veut pas de journalistes mais Olivier Guichard lui dit qu’il faut absolument des témoins et recrute Joël Le Tac et Silvio Galardi pour couvrir pour Paris Match sa visite au Négus d’Ethiopie[10]. Ce sont des hommes en qui le Général peut avoir confiance !

En janvier, février 1954, Sylvère Galar, Jean Mézerette, Walter Carone et Jean Mangeot sont les envoyés spéciaux de Paris Match [11] pour couvrir la Conférence de Berlin, une réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, de France et de l’Union soviétique. Ils en profitent également pour faire des reportages sur la ville coupée en deux par le rideau de fer. Pour Paris Match[12], toujours, il couvre avec Michel Descamps, Izis, Maurice Jarnoux et Pierre Vals le séisme du 9 septembre 1954 à Orléansville en Algérie.

Le 9 octobre 1954, les derniers éléments du corps expéditionnaire français quittent Hanoï après la défaite de Diên Biên Phu. Sylvère Galar et René Vital couvrent le départ des troupes pour Paris Match. Le 19 octobre 1955, avec Russel Melcher et Claude Azoulay, ils couvrent le mythique concert de Sidney Bechet à l’Olympia. Le concert est gratuit et plus de 5000 personnes se bousculent sur le boulevard des Capucines à Paris. Le concert se transforme en émeute avec des dizaines de blessés et des centaines de fauteuils cassés [13].

« Très anticommuniste[14] », Silvio Galardi milite au Rassemblement du peuple français (RPF) avec Joël Le Tac, un parti politique français, créé par Charles de Gaulle en 1947 et mis en sommeil en 1955. Au début de ces années 50, vraisemblablement en 1955, la date précise est inconnue, Galardi quitte Paris Match pour créer l’agence Telephoto au 6 ou 7 avenue Georges V à Paris. Nulle trace au tribunal de commerce…

Monique Le Tac, qui a « un peu travaillé à l’agence pour les ventes à l’étranger la situe au 6 de l’avenue, tandis que le photographe Claude Azoulay la situe au 7… Mais tous deux se souviennent d’un scoop, une photo des têtes de Lénine et Staline embaumés, réalisée par un amateur. A l’époque les visas pour l’Union soviétique étaient rares. Russel Melcher qui avait quitté l’agence Omicron Photos pour Telephoto « car Silvio Galardi était excellent pour vendre les photos à Paris Match ou Noir & Blanc [15] …/… Lénine et Staline, cette photo est unique et a été publiée plusieurs fois dans Paris Match, Life ; elle a été faite par un mathématicien auquel on a expliqué comment faire une photo. »

En juillet 1957, Silvio Galardi a confié l’agence à sa sœur Paule Galardi (1922-2008), puis, selon Russel Melcher il la vend à un photographe de mode. Mais selon Monique Le Tac, Galardi a vendu l’agence en 1959 à Jacqueline Moreau, la première épouse du journaliste Jacques Chancel. « On est alors partis en Italie, car Silvio avait appris que le pape autorisait les machines à sous dans les cafés (?)…. Il en a acheté et en a placé dans beaucoup de bars… Il était très ami avec Etienne Leandri [16]… Silvio était un personnage étrange et secret. Il n’a jamais payé d’impôts, il disait : j’ai été déporté, j’ai assez payé. Il était aussi très chouette, il m’a fait entrer à l’ORTF. Mais toutes ces affaires me semblaient un peu troubles et je l’ai quitté en 1964. Après, je ne sais pas trop ce qu’il a fait. Je sais qu’il a créé le premier journal de télévision en Espagne et qu’ensuite il n’a plus travaillé dans la Presse. [17]» Il est possible, qu’il ait participé au lancement du premier magazine espagnol de programme de télévision Telediario devenu Tele-Radio (1958-1986).

Sylvère Galardi et Etienne Leandri se connaissent depuis leur jeunesse à Marseille. Quand, en 1957 Sylvère Galardi part en Italie, Etienne Leandri y est réfugié pour échapper à sa condamnation à 20 ans de travaux forcés pour entente avec l’ennemi. Dans son livre Mafias, le juge Gilbert Thiel écrit que le fait d’avoir été l’intermédiaire entre Lucky Luciano et la CIA a permis à Leandri « d’entamer une nouvelle carrière, celle d’intermédiaire dans des ventes d’armes et dans la négociation de juteux contrats pétroliers. On le trouve ainsi avec Charles Pasqua dans de nombreuses affaires de commissions occultes.

Plus de trace de Silvio Galardi ensuite sauf sa participation en tant qu’administrateur, en compagnie d’Etienne Leandri [18], à la société Sanfit SA[19], entreprise de fabrication et vente de sanitaires dirigée par René Chevrier. La société crée en 1968 a été fermée le 15 septembre 1985.

Michel Puech

Article publié dans www.a-l-oeil.info

 

[1] Mémoire des hommes, portail culturel du Ministère des Armées – https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/base_resistants/detail_fiche.php?ref=2838415

[2] Yvonne Le Tac, Une femme dans le siècle, de Montmartre à Ravensbrück de Monique Le Tac (Ed. Tirésias Michel Reynaud 2001)

[3] Joël Le Tac (France, Paris, 15 février 1918 – Maisons-Laffitte, 8 octobre 2005), est un journaliste, résistant, compagnon de la Libération. Après-guerre, il a une activité politique très anti-communiste. En 1951, il intègre en Corée le bataillon français de l’ONU, en 1956 il participe à l’opération militaire sur le Canal de Suez puis il est mobilisé comme correspondant de presse auprès du général Massu en Algérie. A son retour en France il redevient journaliste à Paris-Presse puis à Paris Match puis devient député gaulliste de Paris de 1958 à 1981. De 1981 à 1983, il est président de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et président du Conseil international des radios et télévisions d’expression francophone (CIRTEF). En 1981, il soutiendra, comme son frère Yves, la candidature de François Mitterrand.

[4] Yves Le Tac, fils d’Yvonne Le Tac, frère de Joël Le Tac devient en octobre 1961 président du Mouvement pour la Communauté (MPC) chargé de la lutte anti OAS qui le condamne à mort. Il est grièvement blessé par balle à Alger, évacué à Paris, une nouvelle tentative d’assassinat par l’OAS a lieu le 18 février 1962 à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, causant la mort d’un gendarme. Il est le père de Monique Le Tac.

[5] Jacques Isnard in Le Monde du 14 juillet 1998

[6] Les plastiqueurs : Une histoire secrète de l’extrême droite violente de Frédéric Charpier

[7] idem

[8] idem

[9] Monique Le Tac, entretien téléphonique avec l’auteur juillet 2022

[10] Maurice Grassin, Biographie d’Olivier Guichard

[11] Paris Match n°252 de janvier 1954

[12] Paris Match n°286 de septembre 1954

[13] Paris Match n° 342 du 29 octobre 1955

[14] Monique Le Tac, entretien téléphonique avec l’auteur juillet 2022

[15] Russel Melcher, entretien avec l’auteur

[16] Étienne Leandri (1916-1995) était un proche de Charles Pasqua.

[17] Monique Le Tac, entretien téléphonique avec l’auteur juillet 2022

[18] Étienne Paul Alexandre Leandri (France, Gap, 7 mai 1916 – Paris, 22 janvier 1995) dit « Pépé » est un collaborateur actif de l’occupant nazi condamné à 20 ans de travaux forcés à la Libération, il fuit en Italie où il retrouve Lucky Luciano et collabore à la mafia corse connue sous le nom de French Connection avant de devenir l’éminence grise de Charles Pasqua.

[19] BODACC et Societe.com

 

 

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