Il y a vingt ans à peine, en 1993, l’année du tori (« coq » dans le calendrier juni shi japonais), Yuki Onodera quitte Tokyo pour Paris à la recherche d’inspiration créative. Entre 1993 et 1997, elle crée sa première trilogie, commençant par Liquide, prenant pour thème l’eau comme origine de la création, puis elle expérimente avec les Fripes sur la perception de l’absence suspendue en l’air, et enfin avec les Oiseaux qui s’envolent dans le néant. Elle habitait à Montmartre dans un appartement sans vis-à-vis. Toujours aussi innovatrice dans les techniques photographiques, Yuki invente un modus operandi avec un appareil photo sur trépied et un flash orientés vers le ciel nuageux qui sert de décor. Ainsi réalise-t-elle ses Portraits de fripes et ses Oiseaux saisis en vol, directement à sa fenêtre. Par un heureux hasard, le Centre Pompidou expose à ce moment-là une installation de Christian Boltanski, Yuki trouve dans une pile de vieux vêtements usagés et abandonnés comme symbole de la mort le support idéal pour réaliser son projet. Ces fripes désincarnées tout en possédant chacune sa propre personnalité, ses vêtements sans corps flottants contre un ciel nuageux participent à un acte de renaissance ; en leur redonnant vie en quelque sorte, Yuki recrée dans le savoir Lazare revenu du séjour des morts. En inaugurant le cycle des expositions photographiques au Musée des Beaux-Arts de Shanghai en 2006, cette série de Fripes a profondément frappé l’imagination du public chinois.
Huit ans après, ces Portraits de fripes reviennent à Shanghai dans la galerie Beaugeste, mais sous un autre éclairage. En effet, pour la première fois les Fripes et les Oiseaux sont présentés en diptyques, avec l’accord de leur auteur. Dans cette association inédite, sur un même fond aérien, la nature morte contraste avec la vie animée, le statique avec le dynamique. Par-dessus tout, le vêtement en apesanteur d’un enfant invisible dans un cadre semble indiquer que son âme s’est réincarnée dans ces battements d’ailes de l’oiseau qui s’envole dans le cadre d’à-côté. On retrouve cette transcendance selon Carl Jung de l’oiseau comme messager entre la terre et le ciel, comme connecteur entre l’humain et le divin. Surtout retrouve-t-on avec réconfort le pouvoir de la photographie dans l’affirmation de Roland Barthes (in la Chambre Claire) que « ça a existé ». Dans les deux cas de figure, on retrouve dans les Fripes et les Oiseaux un même portrait : celui de l’ange.
Cette présentation inédite des deux œuvres séminales de Yuki Onodera est relevée d’un titre Vue de ma fenêtre en hommage à la première photographie réalisée dans l’histoire de la photographie par Nicéphore Niépce en 1826-27 dans sa maison près de Chalon sur Saône : Point de Vue du Gras. Ce n’est sans doute pas par hasard que Yuki Onodera se voit décernée le Prix Niépce en 2006 et que le musée Niepce lui consacre une rétrospective en 2011.
EXPOSITION
View from the Window
Yuki Onodera
Jusqu’au 12 septembre 2014
Beaugeste Galerie
Shanghai
Chine