« J’avais exposé sur les murs de mon studio beaucoup de modèles et d’échantillons des photos que j’avais faites : homme ou femme en buste, seul ou à deux, entre amis ou en famille, debout, assis ou allongé… Le portrait en buste de biais, c’est moi qui l’ai inventé. »
– Seydou Keïta
« Seydou reconnaissait le visage de chacun de ces clients. »
[…]
Dans les années 1950, il y avait trois photographes à Bamako : Seydou Keïta à Bamako Coura, Malick Sidibé à Bagadadji et Sakaly, un jeune Marocain, à Médina Coura. Notre préférence était Seydou Keïta pour les photos de studio, Malick pour les photos de surprises-parties et Sakaly pour les photos d’identité.
Nous avions connu Seydou Keïta par une grande soeur qui avait déjà fait une photo chez lui avec sa copine. Alors Madou Fadiga, dit « Blen », le rassembleur, nous dit d’aller chez Seydou. Nous étions huit garçons, et nous voulions nous faire photographier deux par deux.
À cette époque, j’avais un complexe terrible pour la forme rectangulaire de ma tête. Je la trouvais trop allongée et j’avais honte de moi-même. Il fallait que je trouve un moyen pour que les défauts ne soient pas visibles sur la photo. J’ai alors pensé à acheter un béret noir, que j’ai mis sur ma tête et je me suis regardé dans un miroir. J’ai vu que j’étais un petit garçon caché derrière un béret noir… Ça faisait rire tous mes copains. Vous n’imaginez pas un gamin complexé, c’est terrible.
Nous sommes allés à Bamako Coura, en face de la grande prison de Bamako. Devant le studio de Seydou Keïta, il y avait une queue incroyable, j’avais l’impression que tous les jeunes de Bamako étaient sortis pour se
faire immortaliser ce jour-là. Nous avons attendu notre tour. Le photographe faisait entrer les jeunes par groupes de deux. Notre premier groupe rentra dans le studio et ressortit quinze minutes après, intimidé. Nous ne savions pas trop pourquoi. C’était à cause du photographe ou le fait de se retrouver pour la première fois devant un appareil photo ?
Mon tour arrive. J’entre avec mon ami, Bakoré Souaré. Nous avions acheté les mêmes tissus pour en faire des chemises. Mon ami était plus grand que moi, mais je ne l’ai réalisé qu’après. Seydou s’adresse à nous : « Qu’est-ce que vous voulez comme photo ? Portrait, assis ou debout, debout étant le moins beau. » J’ai dit debout pour ne pas être trop ridicule. Alors le photographe nous regarde dans les yeux et demande que moi, je change de place. Il tire un rideau qui laisse apparaître les motifs de nos habits et les traits de nos visages. La tension monte d’un cran. Une grosse lampe s’allume et nous ne savons que faire. Moi, j’étais tendu et j’avais le visage crispé. Mon ami reste tout naturel, comme si ce n’était pas sa première photo. Seydou baisse la tête dans son appareil, il la relève un instant et me dit : « Regarde l’appareil et ne bouge plus. » Mes yeux commencent à clignoter de tous les côtés. Seydou me voit, il me dit encore : « Regarde l’appareil et ne bouge plus l’oeil. » J’entends le son de l’appareil qui fait « clic clac ».
Seydou n’était pas sûr de la photo qu’il venait de faire à cause de mes grimaces. Il vient à côté de moi, comme pour me rassurer, et me dit : « Laisse-toi faire. » Il touche ma tête, la tourne légèrement et me dit de ne plus bouger. Il regarde dans son appareil qui répète les mêmes bruits qu’avant. Après, il nous dit : « C’est terminé pour vous. Passez demain prendre vos photos. » Alors nous avons payé, 500 francs ou 300 francs CFA, je crois. À la sortie, nos copains se foutaient de nous.
« Pourquoi vous avez tant duré, c’est parce que c’était la première fois ? »
Le lendemain soir, nous sommes partis chercher nos photos. Seydou nous a fait attendre. Il est allé chercher un grand carton où se trouvaient des centaines de photos. Nous lui avons donné le ticket qu’il nous avait remis. Il a sorti nos photos, vérifié le ticket et nous les a remises. Seydou reconnaissait le visage de chacun de ces clients. Nous laissons Seydou et nous passons à côté pour regarder notre cliché.
Sur la photo, j’étais très petit avec mon béret, mon ami paraissant comme mon père à côté. Voilà comment s’est terminée cette séance de photo. Depuis, j’ai aimé me faire photographier, seul ou accompagné.
[…]
– Souleyman Cissé (extrait du texte issu du catalogue d’exposition)
Seydou Keïta
Du 31 mars au 11 juillet 2016
Grand Palais
75008 Paris
France
http://grandpalais.fr
http://www.seydoukeitaphotographer.com
LIVRE
Seydou Keïta
Editions de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, Paris 2016
22×24 cm, 224 pages
248 illustrations
35 €
Téléchargez l’application de l’exposition :
https://www.mobileaction.co