A l’occasion de la sortie de son Dictionnaire amoureux de New York, l’ancien directeur de Libération expose 17 photographies de reflets sur les bâtiments de la ville à la Galerie Basia Embiricos dans le Marais parisien.
On connait Serge July pour le succès qu’il a obtenu en transformant Libération, un brûlot gauchiste, en un quotidien de référence entre 1973 et 2006. On le connait comme éditorialiste politique à Europe 1, France 3, TF1, LCI, comme documentariste cinéphile, mais, jusqu’alors pas comme photographe.
Pourtant, les premières images dont il se souvient sont celles de la défaite de l’armée française à Diên Biên Phu (13 mars – 7 mai 1954) publiées par France-Soir dont son père est un fidèle lecteur. Il a 14 ans et France-Soir et la photographie entrent dans sa vie.
En 1972, la Gauche Prolétarienne, un mouvement gauchiste dit « maoïste » envisage sa dissolution pour éviter une dérive terroriste, Jean-Claude Vernier, Philippe Gavi, Jean-René Huleu et Serge July annoncent la création de Libération. Le quotidien est censé occuper les militants et éviter qu’ils ne s’égarent.
Les premiers numéros paraissent au printemps 1973 et Serge July en devient rapidement le leader, d’aucuns diront le « commissaire politique ». Il veut selon la formule énoncée quelques mois plus tôt faire un « France-Soir rouge ». Lui qui, de son propre aveu, n’a pratiquement aucune éducation photographique fait tout de suite appel à des photographes professionnels proches de la mouvance gauchiste, Gérard-Aimé, Horace. Il ne veut pas un journal illustré, il souhaite un journal où l’information n’est pas que texte, mais également image. En septembre 1973 nait la première agence photo liée au journal, Fotolib, une coopérative ouvrière de production dont Serge July sera membre du conseil d’administration.
Mais Fotolib n’a pas la force de frappe, ni les talents d’une agence comme Gamma avec laquelle Libération passera rapidement des accords pour la fourniture à bon compte de reportages photographiques. A la fin des années 70, Christian Caujolle, un jeune normalien intéressé par la photographie s’est rapproché de Jean-Luc Monterosso et d’Henri Chapier qui ont créé l’association Paris Photo. Caujolle devient pigiste à Libération où il chronique la vie photographique.
« Le 16 avril 1980, tôt le matin, Serge July m’appela chez moi, m’apprenant sans ménagements que Jean-Paul Sartre venait de mourir…/… J’allais donc chez Brassaï, rue du Faubourg Saint-Jacques, qui me confia généreusement des inédits. Puis chez Gisèle Freund, qui fit de même. Henri Cartier-Bresson me dit ne pas avoir d’autres images intéressantes que celle, célèbre du philosophe sur le pont des Arts…/… Je fus heureux de voir que le numéro était digne, l’iconographie excellente et que les documents que j’avais fournis étaient largement utilisés et sans altération » écrit Christian Caujolle dans Circonstances particulières – Souvenirs – Ed. Actes Sud 2007
Ce coup de maître permettra à Serge July d’imposer Christian Caujolle comme directeur de la photographie du quotidien en 1981 à la reparution de Libération après une crise sévère. Pour ce « nouveau » quotidien « il nous fallait faire un coup » dit Serge July. Grâce à Caujolle, tout ce que l’agence Magnum compte de photographes à Paris ce 21 mai 1981 est au Panthéon pour l’investiture de François Mitterrand. Henri Cartier-Bresson qui se consacre alors au dessin a repris ses Leica pour l’occasion. « On a développé les pellicules de Cartier-Bresson au laboratoire de Libé » raconte Serge July, « c’était vraiment spécial ».
« Mon éducation photographique c’est à Libération que je l’ai faite en faisant le journal » confie-t-il aujourd’hui trois jours après le vernissage de sa première exposition de photos.
« J’ai toujours eu des appareils photos »
Comme à beaucoup d’enfants de l’après-guerre, on lui offre un Kodak brownie. Une boite noire en plastique avec laquelle il fait, comme tout le monde, « des photos banales ». Mais quand il se marie, c’est un Nikon qu’il demande comme cadeau de mariage. Pourtant, jusqu’à Libération, la photographie ne sera pas au cœur de ses préoccupations. A Clarté, le journal des étudiants communistes, il fait dans les années 60 de nombreux reportages. « Mais je ne m’occupais pas de photo. » Et en mai 68, il ne fera pas plus d’image. Il milite.
Ce n’est qu’en 1975, au Portugal qu’il ressort son Nikon. Il photographie Jean-Paul Sartre et Benny Levy discutant avec des militaires du Mouvement des Forces Armées (MFA) et se lance dans un reportage sur l’occupation des terres Alentejo. Après ce reportage, Libération l’occupe de plus en plus et la photographie reste un hobby. Mais il en fera toujours…
Ainsi lors de ses nombreux voyages à New York, il est fasciné par les aberrantes façades de verre des buildings de la ville, par les reflets qu’ils forment en jouant avec les lumières océaniques. Serge July ne voyage plus avec ses encombrants Nikon ou Canon, mais comme tout un chacun avec son smartphone. Comme tout le monde il fait des photos, comme tout le monde il écrit. Mais la différence entre Monsieur Tout-le-monde et un écrivain ou un photographe, c’est l’œil, le ressenti et le talent de l’exprimer.
Il est pourtant très étonné quand Basia Embiricos, « une voisine en Normandie » à laquelle il montre ses images lui propose de les exposer. Il envoie les fichiers au Laboratoire Picto et « j’étais sur le cul quand j’ai vu le résultat. » dit-il modestement.
Michel Puech
Reflets de la transparence par Serge July
Texte d’accompagnement de l’exposition
New York est à l’image de « l’homme de verre » de Paul Valéry : « je me reflète et me répercute, je frémis à l’infini des miroirs, je suis de verre ».
La métropole atlantique est en effet la première ville de verre au monde, celle de la réverbération rêvée en 1914, par le poète allemand Paul Scheerbart, et après la première guerre par les architectes Mies van der Rohe et Le Corbusier, par le philosophe Walter Benjamin.
New York aura été pionnière en matière de transparence : le capitalisme sauvage des tycoons de la fin du XIXe et des débuts du XXe siècle s’y montre et s’y impose sans vergogne, se revendique et s’affiche haut et fort, avec ses orgueilleux gratte ciels électriques qui se reflètent à l’infini, sur les parois d’autres immeubles, sur les vitrines, sur la carrosserie des camions et des voitures, dans les rétroviseurs comme dans les flaques d’eau où ils paradent comme autant de totems de la réussite.
« L’alliage de l’opacité du fer et de la légèreté du verre permet selon Walter Benjamin l’érection d’un temple érigé à la gloire de la marchandise, d’un panthéon dans la Rome moderne, où la Bourgeoisie mondiale expose les dieux qu’elle a fabriqué pour elle-même ». Le verre rend hommage au marché, au libre-échange, à la concurrence : car la liberté du commerce voyage de pair avec la liberté d’expression.
Un autre utopiste du verre, l’historien Anthony Vidler voit dans ce matériau, un idéal des lumières – sans jeu de mots – : « la transparence éradiquerait tous les domaines du mythe, la suspicion, la tyrannie et avant tout l’irrationnel »
Gorbatchev n’était pas architecte mais lorsqu’il invente la Glasnost dans les années 1980, il entend transformer la société communiste en imposant la transparence, la liberté d’expression, et la publicité. Il ne le sait pas encore mais avec les réseaux sociaux, la transparence va dévaluer tous les secrets, mêmes les plus intimes. Et pas seulement ceux du régime policier.
New York aime les reflets aléatoires. Ils sont partout et transforment les rues en de vertigineux kaléidoscopes. Toutes les rues saisies par ces jeux de lumière sont annexées dans le même univers commercial où la rue prolonge l’appartement, où le magasin se fond dans un espace privé : le dedans et le dehors s’interpénètrent à New York, comme nulle part ailleurs. D’un coup, le réel apparait dans sa complexité.
Ces cathédrales de verre sont menacées par le dérèglement climatique : véritables passoires énergétiques, ces tours sont responsables de 71% des émissions de gaz à effets de serre. Ils devront réduire leurs émissions de 40% d’ici 2030 selon le plan de Bill de Blasio le maire de New York, pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Un impôt devrait les y contraindre.
De nombreux photographes ont joué avec cette ville miroir : le grand Saul Leiter en avait fait son crédo, et Ernst Haas un opéra de couleurs.
J’ai essayé à mon tour de courir après ces sarabandes de formes et de couleurs.
Serge July
Exposition jusqu’au 26 octobre 2019
Galeri Basia Embiricos
14, rue des Jardins Saint-Paul Paris
http://www.galeriebasiaembiricos.com/
Dictionnaire amoureux de New York
Serge July
Editions Plon
https://www.eyrolles.com/Loisirs/Livre/dictionnaire-amoureux-de-new-york-9782259248419/