Ce projet est un témoignage d’un lieu qui n’existe plus.
En 2003, plusieurs douzaines de familles sont venues occuper le Galpao da Araujo Barreto, une chocolaterie désaffectée de Salvador de Bahia, au Brésil. Auparavant, ces familles vivaient dans les rues dangereuses de la ville. Mais, lassées de vivre au contact de tant de violence et de désespoir, elles s’étaient unies pour reprendre cette usine abandonnée, alors en ruine, et en faire leur lieu de vie.
J’ai commencé mon travail sur cette communauté de Barreto en 2009. Ayant fait des études de sociologie, j’ai compris ce qui en faisait un lieu unique, une vaste sous-culture au sein de la grande ville, une seule et même famille élargie. Tous ces gens avaient créé un microcosme où les problèmes rencontrés –drogue, prostitution, violence– étaient gérés avec le soutien de toute la communauté.
Ces dix dernières années, le Brésil est devenu un modèle de croissance économique en Amérique latine, et pour tous les pays en développement. Pourtant, le pays abrite une des sociétés les plus inégalitaires qui soient.
Barreto, c’était un lieu où tout circulait : les idées, les biens, les services. Ainsi se sont forgés des liens et une identité qui ont aidé les membres de la communauté à survivre dans un monde qui les avait exclus. La vie en communauté, c’était une forme de lutte et de résistance. Résistance à lasociété qui ne les percevait que comme source de problèmes et leur refusait le rôle que tout citoyen d’une société équilibrée doit pouvoir jouer.
Il y a trois ans, je me suis donc rendu à Barreto pour découvrir comment une communauté peut se constituer pour survivre dans une société fragmentée. Au fil des ans, j’y ai connu tous les registres de l’expérience humaine : l’amour, le désespoir, la trahison, la convoitise, la passion, la solidarité, l’amitié, l’empathie, le conflit, le pardon, le sens de la famille… Mais le plus important, c’était la capacité de résistance des membres de la communauté qui se battaient contre l’oubli, contre l’exclusion, inventant ainsi une société apte à survivre dans la dignité, à construire ses foyers, à élever ses familles et à poursuivre la lutte contre les forces de l’oppression.
L’énergie et le courage des gens de Barreto venaient de leur inventivité à rechercher de nouveaux moyens de subsister dans une friche industrielle en marge de la ville. Les entreprises qui vont ainsi à l’encontre des normes établies par la société ne sont pas, loin s’en faut, de simples actes de révolte : elles jettent les bases de nouvelles cultures de résistance, tissent de nouveaux liens entre les êtres humains, au sein de leur société et avec leur environnement ; elles font naître de nouveaux systèmes de valeurs, de nouvelles relations entre les humains, des règles et des codes nouveaux dans la société elle-même.
Suite un premier séjour en 2009, j’y suis retourné plusieurs fois jusqu’en mars 2011, lorsque le gouvernement a fait démolir les bâtiments de l’usine après en avoir expulsé toutes les familles. Il s’agissait, encore et toujours, d’effacer les traces les plus criantes de pauvreté dans les centres urbains du Brésil, principalement en raison des grands événements internationaux qui doivent prochainement se tenir dans le pays –Coupe du monde de football en 2014, Jeux olympiques en 2016. Le Brésil poursuit sans états d’âme son nettoyage des favelas, au risque de se rendre coupable de violation des droits humains.
Quand les gens de Barreto ont été délogés de force, cent trente familles vivaient sur les lieux, sur une superficie avoisinant celle d’un terrain de foot. Si le site a été fermé, la communauté, elle, existe toujours. Les familles se sont regroupées dans le Jardim das Margaridas, un quartier marginalisé aux abords de la ville. Le gouvernement les y a installées en même temps que cinq cents autres familles chassées de plusieurs favelas. L’embourgeoisement des centres urbains est aujourd’hui un phénomène récurrent un peu partout dans le monde : la transformation du centre des villes chasse les habitants à revenus modestes de leurs quartiers, appelés à devenir, grâce à leur attrait et à leur potentiel économique, des lieux de résidence coûteux et à la mode.
Mon travail a pour but, essentiellement, de raconter les liens affectifs et physiques qui s’étaient noués entre les familles de la communauté de Barreto.
Communauté que je prends pour métaphore, symbole d’un lieu où la désintégration tragique de la vie humaine a parfaitement rejoint le réalisme magique du continent latino-américain.
Sebastián Liste
Sebastián Liste est né en 1985, en Espagne. Sociologue et photographe, il travaille actuellement sur différents aspects du monde contemporain autour de la Méditerranée et en Amérique latine, deux espaces où il est né, a grandi et qu’il connaît bien.
Ses recherches se concentrent sur des projets à long terme alliant ses connaissances en sociologie et ses compétences visuelles dans le but d’étudier des histoires personnelles et intimes. Ses travaux documentent à la fois la vie quotidienne de communautés en difficultés et celle de sa propre famille.
En 2010, étudiant en photojournalisme, il obtient la bourse Ian Parry au Royaume-Uni et est élu Jeune Reporter Photographe de l’Année aux Lucie Awards à New York pour son projet à long terme « Urban Quilombo ». Depuis, son travail a été publié, exposé et reconnu au niveau international. En 2011, Sebastián Liste a pris part à la 18ème Joop Swart Masterclass de World Press Photo à Amsterdam.En 2012 Sebastián Liste est lauréat d’une bourse de Magnum Foundation et du Getty Grant for Editorial Photography, pour continuer ses travaux ainsi que du Prix de La Ville de Perpignan Rémi Ochlik au Festival Visa pour l’Image. Sebastián Liste est représenté par l’agence Reportage by Getty Images.
EXPOSITION
Urban Quilombo de Sebastián Liste
Du 13 juin au 21 septembre 2013
Visite guidée de l’exposition par Sebastián Liste le 24 juin 2013
La Galerie de l’Institut français
Carrer Moià, 8
08006 Barcelone
Espagne
T + 34 935 677 777
F + 34 932 006 661