Une exposition newyorkaise de l’oeuvre de la photographe américaine Rose Mandel (1910-2002) présente ses portraits, vues de la nature en gros plans abstraits et paysages marins réalisés entre 1946 et 1972. Le titre, Un sentiment d’abstraction, renvoie aux grands courants visuels et psychologiques qui traversent son oeuvre : symbolisme, surréalisme et expressionisme abstrait.
Née en Pologne, Rose Mandel a étudié l’art à Paris et la psychologie de l’enfant avec Jean Piaget en Suisse. Elle a fui l’Europe en 1942, débarquant à Staten Island dans la ville de New York après un voyage périlleux dans l’entrepont d’un bateau à vapeur qui emportait des centaines d’émigrés, dont le célèbre artiste français Marcel Duchamp. Son pays détruit, les membres de sa famille et ses amis victimes de l’Holocauste, elle avait fait de la baie de San Francisco sa nouvelle maison.
L’oeuvre de Rose Mandel est étroitement rattachée à la tradition de la photographie moderniste bien établie en Californie du Nord, représentée par Edward Weston, Ansel Adams et Imogen Cunningham. Ses études de la nature et ses paysages abstraits appartiennent toutefois également à la tradition américaine plus large du paysage, incarnée par Minor White, Walter Chappell, Harry Callahan, Ralph Eugene Meatyard, et d’autres, qui ont exploré dans leurs images les significations symboliques complexes du monde naturel.
Lorsqu’elle est arrivée à San Francisco, Rose Mandel a rencontré Edward Weston, qui l’a incitée à étudier la photographie en tant que forme artistique. Elle a ainsi débuté en 1946 des études officielles auprès d’Ansel Adams à l’Ecole des Beaux Arts de Californie (aujourd’hui Institut artistique de San Francisco), dans la toute première classe du département photographie, fondé par Adams. Mandel considérait qu’il lui avait « sauvé la vie » en lui montrant « une nouvelle façon de voir le monde, à travers l’objectif d’un appareil photo. »
Elle a également développé pendant cette période une collaboration avec un autre professeur, Minor White, de deux ans seulement son aîné. A l’instar d’Adams, White vénérait le célèbre photographe Alfred Stieglitz, dont il appuyait la théorie des équivalences. Comme l’a observé David Travis, historien de la photo, « Adams s’est avéré être le mentor que Mandel espérait trouver en Weston » ; toutefois,« les idées naissantes de Mandel sur la photographie s’accordaient avec celles de White sur la psychologie, à mesure que l’étudiante et l’élève se soutenaient mutuellement. »
Mandel a ainsi participé activement à la période de dynamisme photographique et artistique de la baie, centré autour de deux institutions éducatives d’importance, l’école des beaux arts de Californie et l’Université de Californie à Berkeley, où Mandel a travaillé de 1947 à 1967 dans le département des arts. Ses premiers portraits d’artistes (1947-56), montrant William Theophilus Brown, Phyllis Manley, et Paul Wonner, étudiants en art à Berkeley devenus ses amis, comptent parmi les œuvres exposées à la galerie Deborah Bell.
Entre 1946 et 1948, Mandel a photographié les reflets dans les vitrines et les murs de San Francisco recouverts de graffitis. Il est probable qu’elle ait été influencée par Lisette Model, autre photographe immigrante dont les clichés en forme de photomontages montrant des piétons et des mannequins reflétés sur les vitrines newyorkaises ont été exposés en 1946 au California Palace de la Légion d’Honneur, à San Francisco. En 1948, le Musée d’Art de San Francisco (aujourd’hui Musée d’art moderne de San Francisco) a offert à Mandel sa première exposition solo, On Walls and Behind Glass (Sur les murs et derrière le verre), qui présentait une série de photos montrant ces reflets et graffiti. Mandel a reconnu de nombreuses années plus tard l’influence surréaliste dans l’ambiguïté spatiale et la dissonance de ces photographies, qui exprimaient son état de dévastation au sortir de la guerre et de l’Holocauste.
Ses paysages réalisés plus tard sur et autour de la côte de la Marina de Berkeley et dans la baie de San Francisco sont devenus ses premiers centres d’intérêt. Ces clichés méditatifs mêlant l’eau, le littoral et des étendues de ciel marquées par de subtiles variations de ton, du plus sombre au plus lumineux, font voyager l’esprit, arrangements abstraits de formes organiques dont certains saisissent des cieux nocturnes dramatiques à travers des combinaisons de nuages au clair de lune, denses, en mouvement, souvent surréels. En 1960, le Musée d’art moderne de New York a présenté six paysages de Mandel extraits de la série Un sentiment d’abstraction, dans le cadre d’une exposition internationale phare consacrée aux tendances contemporaines de la photographie abstraite.
A partir de la moitié des années 1960 et jusqu’à 1972, Mandel s’est détachée des tirages intimistes au format épreuves contact, réalisant la plupart de ses images en grand format, dont des oeuvres qu’elle appelait “écrits sur l’eau” et d’autres images minimalistes, qu’elle considérait comme des métaphores profondément personnelles de ses sentiments les plus intimes. Les dernières photos de Mandel ont été réalisées entre 1970 et 1972.
Rose Mandel : Un sentiment d’abstraction
Du 15 novembre 2017 au 13 janvier 2018
Galerie photo Deborah Bell
16 E 71st St #1D/4th Floor
New York, NY 10021
Etats-Unis
http://www.deborahbellphotographs.com/