Sandra Reinflet à remporté le Prix Roger Pic 2020, voici son texte sur sa série VoiE.X, artistes sous contraintes.
Comment peut-on vivre en tant que peintre, danseur, réalisatrice ou poète sous la théocratie iranienne, le conservatisme brésilien, dans le désert mauritanien, la jungle papoue ou la misère malgache ?
Comment faire de l’art son métier quand il est la dernière priorité du gouvernement, qu’aucune structure de diffusion n’existe ou qu’il est muselé par la censure ?
Cette série au long cours propose des portraits d’artistes qui posent l’acte de création comme un acte de résistance dans des contextes où vivre de l’art est une gageure.
Le projet VoiE.X est né en Mauritanie, quand j’ai découvert que dans cette République Islamique, il n’y avait aucun cinéma, peu de scènes et de lieux d’exposition, pas d’éditeur, de diffuseur, et que la religion classait les formes d’art entre celles qui sont H’ram (contraires à l’Islam) et les autres. En tant qu’artiste, je me suis demandée d’où nait la vocation dans de tels contextes.
En France, alors qu’on jouit d’une liberté relative, il est déjà difficile de vivre de la création, alors quand un artiste n’a ni modèle, ni soutien, ni moyens de partager son travail dans son pays, d’où part l’étincelle ? Comment décide-t-on de se consacrer à l’art quand la perspective semble bouchée ?Pour trouver des éléments réponses, je me suis rendue en Iran, en Papouasie Nouvelle Guinée, à Madagascar et récemment au Brésil afin de tracer des ponts entre ces créateurs qui, malgré des situations différentes, ont beaucoup en commun. Puisqu’il est complexe de créer, les artistes deviennent résilients, puis résistants.
Ainsi, en Iran, où la danse des femmes est interdite en public, on parle de « mouvement harmonieux » pour pouvoir bouger sur scène. Au Brésil, encore sous le choc de la nouvelle politique ultra-conservatrice du gouvernement, des artistes contestent en sous-textes, dans les interlignes des spectacles, les discriminations qu’ils subissent en raison de leur orientation sexuelle, leur couleur de peau ou leurs prises de positions. Ils créent sur le fil, jouant avec l’interdit et le possible, pour faire entendre leur voix.
Comme les détails se cachent autant dans les lignes de fuite que dans celles du visage, chaque portrait est réalisé au grand angle, dans une mise en scène co-créée avec l’artiste, métaphore de la place qu’il occupe dans son paysage. Ensemble, nous avons tenté d’esquisser une géographie intime où le sujet et son environnement sont liés, de gré ou de force.
Loin d’être misérabilistes, ces portraits suggèrent que la contrainte n’est pas un mur infranchissable, mais une incitation au contournement, voire au détournement. En tout cas à l’action.
Il est ici question de nécessité, de dépassement des limites, de défense de liberté d’expression, et au fond, de liberté tout court. En ces temps contraints, n’avons-nous pas, plus que jamais, besoin de ces porteurs de flambeaux ?
Pourvu que cette exposition leur serve de porte-voix. La poésie est une arme de construction massive, merci à eux de nous le rappeler.
Sandra Reinflet
Biographie :
Lorsqu’il lui faut décliner une profession, Sandra Reinflet hasarde : Inventeuse d’histoires vraies. Cette grande voyageuse utilise la photographie et le texte pour mettre en scène le réel – partant du principe que tout est fiction dès lors que l’on choisit un cadre.
Elle a notamment publié quatre livres (dont Ne parle pas aux inconnus, paru en 2017 aux éditions JC Lattès) et a reçu le prix coup de cœur de la Bourse du talent reportage pour sa série photo intitulée « Qui a tué Jacques Prévert ? » (Éditions de La Martinière).
De Port Moresby à Saint-Denis, elle réalise aussi de nombreuses actions culturelles pour amplifier la voix de ceux que l’on n’entend pas, ou pas assez.
