Quel est le meilleur moyen de communiquer sur la destruction et la transformation de notre monde et de sa biodiversité ? Comment provoquer efficacement un changement des mentalités et éclairer l’ironie parfois morose des efforts consacrés à la sauvegarde de la nature ? Ancien activiste engagé dans la cause animale, Robert Zhao Renhui a consacré sa carrière artistique à explorer et questionner le lien entre l’humanité et son environnement naturel ainsi que son désir nostalgique de retour à la nature.
L’artiste grandit à Singapour, dans un petit appartement envahi de bonsaïs, et développe dès son plus jeune âge une certaine sensibilité au monde naturel et à son état de captif. À treize ans, il s’approprie l’appareil photo de son père et se montre aussitôt fasciné par la possibilité de créer des vérités imaginaires et de manipuler la réalité. Il étudie la photographie au Royaume Uni, au Camberwell College of Arts ainsi qu’au London College of Communication. Après son retour à Singapour, il crée l’organisation internationale Institute of Critical Zoologists. Son intention est de susciter « une approche critique du regard zoologique ou de la façon dont les humains voient les animaux ». Son premier projet majeur à l’institut, l’ouvrage A guide to the flora and fauna of the world (2013), est une encyclopédie colorée et alternative consacrée aux animaux et plantes souvent laissés de côté par le discours scientifique traditionnel. Il s’agit par exemple de ceux qui ont été ou seront affectés par des influences esthétiques, génétiques, évolutionnelles ou écologiques. Depuis le début, il travaille à faire en sorte que notre société contemporaine prenne toute la mesure de notre relation aux animaux. L’artiste explique que sa méthode est nourrie par ses liens étroits avec des scientifiques et grâce à des résidences consacrées à la recherche, comme par exemple celles du Musée des arts asiatiques de Fukuoka, du Musée national du Pays de Galles ou de l’organisation The Artic Circle. C’est grâce à ces travaux qu’il a pu identifier des sujets pertinents au sein du débat contemporain et passer du temps à tenter de comprendre les histoires qu’ils racontent.
De 2015 à 2016, Robert Zhao Renhui entreprend ce type de résidence sur l’île Christmas, une île perdue de l’océan Indien appartenant à la couronne britannique et administrée par sa colonie de Singapour. Aujourd’hui territoire extérieur australien, elle offre toute la richesse de sa biodiversité, teintée d’une certaine ironie pour ceux qui veulent bien la voir. Le projet qui en résulte, intitulé Christmas Island, Naturally, a été commandé pour l’édition 2016 de la Biennale de Sydney. Actuellement exposée à la galerie ShanghART de Singapour, cette étude photographique documente les espèces menacées et éteintes de l’île, tout en examinant les conséquences inhérentes à la présence de l’homme.
Avec une importante sélection de photographies ainsi que deux installations tirées de la série de cent-vingt œuvres, ce parcours nous livre les créatures, phénomènes naturels et sites les plus insolites de l’île, tout en témoignant des efforts menés sur le front de l’écologie, de l’extinction et de la conservation des espèces. Le photographe juxtapose réalité et fantasme dans une série de compositions réfléchies, qui mettent en scène les animaux dans leurs habitats naturels. Afin de raconter leur histoire, il s’appuie sur un assemblage de verts et de gris déclinés en teintes sombres, associés à des noirs veloutés et profonds, le tout mis en valeur par des scènes d’une pâleur poudrée et ponctuées de tâches de couleur qui accrochent le regard. Parmi ses clichés les plus frappants se trouvent ceux des crabes rouges de l’île au cours de leur migration annuelle vers la mer : des millions de crustacés rouge vif envahissent alors les terres, et toute circulation ou activité industrielle s’interrompt.
Les photographies sont accompagnées de notes de terrain pseudo-scientifiques et pince-sans-rire. Christmas Island, Naturally culmine pour offrir une solution imaginée par l’artiste et qui consiste à évacuer de l’île toutes les espèces invasives, une bonne fois pour toutes. Dans cette alternative, les humains, justement considérés comme une espèce invasive, quitteraient également l’île pour permettre de préserver son écosystème. Ce scénario se déploie dans Life after humans-rewilding island ecosystems (la vie après les humains, réensauvagement des écosystèmes insulaires) un programme de conférence fictif qui traite de la conservation en présentant des extraits de papiers scientifiques.
L’exposition s’accompagne du livre Christmas Island, Naturally, en édition limitée. L’ouvrage imagine le résultat de l’expérience, cinquante ans plus tard, et contient la série complète de cent-vingt images vouées aux efforts consacrés à l’île.
Holly Roussell Perret-Gentil
Holly Roussell Perret-Gentil est commissaire indépendante spécialiste de l’Asie. Elle se consacre à la photographie et à l’art contemporain.
Robert Zhao Renhui: Christmas Island, Naturally
11 mars – 8 mai 2017
9 Lock Road, #02-22
Gillman Barracks
Singapour 108937