Rechercher un article

Rizzoli : Baudoin Lebon : Sonia Sieff : Rendez-Vous !

Preview

Ce livre est un projet que Sonia Sieff mûrit depuis très longtemps, depuis toujours même. C’est une sorte d’introspection personnelle et sans conteste un hommage aux hommes. Au travers de ses images, l’artiste porte un regard bienveillant, tendre et poétique sur la masculinité et replace les hommes dans le « game » en explorant de manière inédite leur nudité. On adore !

 

Après avoir fait une série de photos de femmes nues, vous venez de sortir un opus réservé aux hommes. Comment vous est venue cette idée ?

Sonia Sieff : J’avais déjà travaillé sur le nu masculin lorsque j’avais une vingtaine d’années. Je trouvais déjà, à cet âge-là, que le nu féminin était trop évident. Mais lorsque j’ai proposé ce projet à mon éditeur, il m’a demandé de commencer pas la femme. Je n’ai donc pas eu le choix que de commencer par les femmes. Néanmoins, cette série de nus masculins était un projet auquel je tenais. Je le porte depuis que je suis jeune photographe. Il ne s’agit donc pas d’une suite aux « Françaises », comme vous l’aurez compris, mais bien de mon projet initial. Cependant, je suis contente de l’avoir finalement réalisé dans un second temps car cela m’a permis d’aiguiser mon œil et surtout d’acquérir beaucoup plus d’expérience.

 

Contrairement au projet précédent pour lequel les femmes choisies étaient quasiment toutes des amies, vous ne connaissiez quasi aucun pour projet, pourquoi ?

S.S. : C’est juste. Sans doute parce que je voulais sortir de toutes les zones de confort possibles. Il s’agissait pour moi d’aller au plus loin de ce que j’étais capable de donner. Sachant que je ne suis pas reporter de guerre – un exercice que je ne sais pas faire et qu’émotionnellement surtout je ne pourrais pas faire -, je me suis dit que dans mon univers à moi, qui est fait d’un mélange de rencontres, de reportages incluant toutes sortes de profils dont des personnalités connues, il y avait, en photographiant des hommes qui m’étaient inconnus, moins d’aprioris, et moins de travail à faire en amont, c’est juste une page blanche qui commençait.

 

Pourquoi ne pas avoir inclus des hommes « connus » que vous ne connaissiez pas ?

S.S. : C’était un choix assumé de ma part, car photographier des personnalités en mode portrait est déjà compliqué de par leurs emplois du temps souvent complexes, donc leur demander de se laisser photographier nu allait assurément être un enfer. Notamment à cause du droit de regard qu’ils allaient forcément exercer sur les images, et je n’avais pas envie de cela. Par ailleurs, convaincre des hommes connus ou même des hommes que l’on connait est déjà compliqué, car beaucoup d’émotions qui transparaissent forcément dans les rapports, cela rend donc les choses plus complexes. Et puis ne dit-on pas qu’il est plus simple de se « confier » à quelqu’un que l’on ne connait pas ?

 

Est-ce vraiment si différent avec les hommes ?

S.S. : Oui, bien sûr. Avec les femmes, qui pour beaucoup étaient des copines, ce fut bien plus confortable. Je me baladais en France, je les appelais, passais les voir un après-midi, nous prenions le thé en nous racontant nos vies et je les prenais en photos. C’était très agréable et beaucoup plus « facile » d’une certaine manière. Avec les hommes, je me suis mise en danger. Je ne les connaissais pas pour la plupart. Je me trouvais, de ce fait, dans une énorme zone d’inconfort. Ensuite, j’ai, pour ce projet-là, davantage voyagé pour découvrir d’autres cultures et un autre rapport à la nudité, qui d’ailleurs variait selon les pays. Les populations du Nord sont d’après mon expérience plus à l’aise avec la représentation de leur corps que celles du Sud.

 

Comment s’est fait le choix de ces hommes et des lieux où vous réalisiez la séance ?

S.S. : J’ai commencé par prendre contact avec des amis qui vivent dans les différentes villes où je souhaitais me rendre. Je leur ai demandé si parmi leurs connaissances il y avait des hommes qui accepteraient de se prêter au jeu. Ayant également des responsabilités de maman, je ne souhaitais pas partir plus d’une semaine. Donc, dans un premier temps, nous avons travaillé à distance. Et, dès lors qu’ils avaient accepté l’idée, je partais à leur rencontre et nous réalisions souvent les images dans la foulée. Quant aux lieux, cela pouvait être leur lieu, s’ils en avaient envie ou un lieu qu’ils aimaient. Cela m’a permis de constater que l’approche était différente lorsque je me trouvais dans le Nord de l’Europe ou dans le Sud. Dans le Nord, les hommes m’ouvraient plus aisément la porte de chez eux, alors que dans le Sud, j’ai souvent été obligée de trouver des lieux où réaliser les photos.

 

A-t-il été plus simple de travailler avec les hommes ?

S.S. : Oui et non. La plupart de ces hommes n’avaient jamais posé. Si prendre la pose pour une femme est plus naturel et plus instinctif, car elles le font depuis des siècles, c’est aussi parce qu’elles reproduisent ce qu’elles ont vu dans les livres, les magazines ou au travers des œuvres d’art. De ce fait, avec les hommes il y avait quelque chose de plus brut, de plus authentique, de moins pensé.

 

Au-delà de la nudité, c’est quoi un homme qui se met à nu ?

S.S. : C’est un homme qui accepte d’avoir peur. Qui accepte aussi sa part de sensibilité et sa part dite « féminine ». La mise à nu est une démarche psychologique et intime. En revanche, pour chacun de ces hommes la démarche entreprise avait une autre signification.

 

Plus généralement le nu n’est-il pas une façon de baisser les armes, de lâcher-prise ?

S.S. : Oui exactement. C’est aussi pour cela que j’ai intitulé mon livre « Rendez-vous !», dans le sens où, bien sûr, il s’agissait une rencontre mais également d’une manière de rendre les armes, de se laisser aller pour rétablir une parité et un équilibre. Je n’ai pas objectifié ces hommes. C’est pourquoi, il y a de la poésie et de l’amour dans ces images.

 

Quel a été votre processus créatif sur ce projet ?

S.S. : Rien n’était écrit. Je ne savais rien. Je suis juste partie avec mon Leica M6 en bandoulière et j’ai laissé les choses se mettre en place naturellement.

 

Quel regard portez-vous sur les hommes d’aujourd’hui ?

S.S. : Au départ, mon attention s’est portée vers des hommes dits « beaux ». Mais, dès le premier rendez-vous, je me suis aperçue que je cherchais autre chose. Ce qui m’a permis de partir à la découverte du masculin. Être un homme aujourd’hui, c’est complexe. Les hommes sont plus fragiles que l’on ne pense. Ils subissent eux aussi beaucoup d’injonctions. On dit souvent que l’on en demande beaucoup aux femmes, mais on en demande tout autant aux hommes.

 

L’amitié Homme/Femme vous y croyez ?

S.S. : Oui, absolument. Mais ce n’est pas souvent réciproque.

 

Qu’avez-vous appris à l’issu de ce projet ?

S.S. : J’ai surtout appris que l’on pouvait être viril et sensible. J’ai également découvert qu’il y avait beaucoup d’ambivalences partout, beaucoup de lectures aussi et de nuances. J’ai surtout réalisé que ce monde manichéen dans lequel nous vivions me fatiguait. Il ne suffit pas d’être ou pour ou contre. Tout n’est pas noir ou blanc. Il était donc temps pour moi, à mon échelle d’apporter de la nuance dans tout cela. Il faut cesser cette guerre du masculin/féminin et apprendre à s’écouter, se comprendre et se compléter.

 

Vous avez réalisé ce projet en argentique, pourquoi ?

S.S. : J’ai démarré ce projet en numérique pour plus de simplicité. Mais, il s’avère que je préfère les choses compliquées. Et surtout, je voulais être à 100% avec la personne que je photographiais, sans avoir mon nez rivé en permanence sur l’écran pour vérifier la pose, la lumière et que sais-je encore. Je voulais travailler dans les conditions les plus basiques qui soient : pas d’assistant, le plus possible en lumière naturelle. Je voulais aussi quelque chose d’intimiste. Tout cela m’a aussi permis de faire mon introspection en parallèle. Au final, tout était lié.

 

Comment appréhendez-vous l’arrivée en force de l’I.A. ?

S.S. : Il faut évoluer avec son temps. Néanmoins, il est indéniable que cela sera compliqué à gérer pour les photographes. En revanche, il est certain que cela va ouvrir un nouveau champ des possibles. En ce qui me concerne, c’est surtout la déconnection du réel qui m’inquiète. Bien sûr, je vois cela comme un outil de progression, mais à condition qu’il ne nous aliène pas.

 

C’est quoi être photographe en 2024 ?

S.S. : Je pense qu’il est dur d’être photographe aujourd’hui. Depuis l’explosion des réseaux sociaux tout le monde est photographe. Et hélas, beaucoup de photographies sont médiocres. Mais lorsqu’on est assidu, que l’on propose autre chose c’est formidable. Et puis, je suis ravie d’avoir l’expérience que j’ai, d’avoir connu l’argentique, de connaitre le numérique et d’en avoir vu les limites – car il y en a – et d’être capable de gérer toutes les situations possibles.

 

Vous êtes une femme très engagée quoique vous fassiez. Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituelle, ou émotionnellement ?

S.S. : J’ai un grand sens de la justice depuis mon plus jeune âge. Donc, oui, l’injustice me fait réagir, bondir, tout comme la beauté, les gens qui prennent conscience des choses et qui progressent.

 

Le mot de la fin ?

S.S. : J’espère que mon livre marquera un tournant.

  

Livre : « Rendez-vous ! » aux éditions Rizzoli USA
https://www.rizzoliusa.com/book/9780847899678

Exposition : jusqu’au 30 mars 2024 à la Galerie Baudoin Lebon, 21 rue Chapon, 75003 Paris du mardi au samedi de 11h à 19h.
http://www.baudoin-lebon.com/

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android