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Rhéa ShirUdo

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Autoportraits à la Nature morte

« Ne crains pas ; je t’aime. »

Des mots brefs qui, en leur temps, me sauvèrent la vie. Un aumônier me transmit ces paroles sur une carte qu’il déposa dans ma chambre d’hôpital, le soir où je mis au monde mon bébé mort.

Ne crains pas la mort, ne crains pas le corps sans vie ; et pourtant c’est bien la terreur qui dominait sur le chagrin ; l’effroi, le dégoût et la peur du dégoût.

La mort périnatale est définie par l’OMS comme la mort du fœtus au cours de la grossesse et dans les 7 premiers jours de vie.

Le deuil périnatal, c’est le gouffre innommable où basculent chaque année 7000 familles françaises. Un abysse, dépourvu de lumière, de parois, d’écho. Le trou noir, recouvert d’une chape de silence.

Sacha est morte à la fin de ma grossesse. Elle et ses frères Amadeo, Salomon et Gabriel, sont mon foyer et ma famille. Un cheminement chaotique m’a menée à la vie relativement douce que je mène désormais, une vie d’art, de partage, de beaucoup de rires et d’une infinie tendresse.

Pourtant l’horreur fait partie de moi. L’horreur de l’avenir rêvé qui se brise, l’horreur de porter la mort, l’horreur du rejet et de tout ce que je me suis infligé pour me punir de n’avoir pas su préserver la vie de mon enfant.

Cette horreur est tentaculaire. Le silence la nourrit, la solitude ; elle se repaît des regards qui se détournent. Elle prend, elle étouffe et elle abyme dans les profondeurs.

Pour la vaincre j’ai fait le choix de vivre avec elle.

L’horreur est venue à moi par un acronyme médical : RCIU. Retard de croissance intra-utérin. Elle s’est installée doucement, me portant à accepter la souffrance de mon enfant comme autant d’heures gagnées sur une prématurité létale.

Un matin la conscience de la mort de mon bébé m’a assaillie. Son père touchait mon ventre, sentant des coups, voulant les sentir. Scène désarmante que je vois aujourd’hui avec beaucoup de tendresse.

Le personnel hospitalier n’a jamais prononcé les mots : elle est morte, ou elle est décédée. Ils sont simplement rentrés les uns après les autres dans la chambre de travail, jusqu’à ce qu’ils soient 5 sur l’écran de l’échographe. Je tournais la tête. Je ne voulais pas la voir. J’ai crié une fois. J’étais un cimetière.

Le premier rejet arrive à cet instant, et c’est celui où l’on se voit informé qu’on garde notre bébé sans vie pour le mettre au monde par voie basse dans les prochains jours. J’ai rapidement compris que ces quelques jours furent salutaires ; ils m’ont permis de me préparer à la réalité de la mort.

J’ai acheté des vêtements, au magasin de jouets, parce que Sacha était minuscule. Le retard de croissance était gravissime, elle pesait à peine plus de 500 grammes, le quart du poids normal à ce terme.

J’ai bu pendant 2 jours. Puis j’ai mis au monde ma fille en hurlant pour étouffer le silence qui sortait de mon ventre.

C’est là tout ce que le monde retient du deuil périnatal, c’est le choc ultime pour l’extérieur : être obligé de mettre au monde naturellement l’enfant mort.

Je comprends le choc. Mais c’est bien moins difficile que ce qui suit.

Décider si on veut voir son enfant. Décider s’il faut l’autopsier. Renoncer à une crémation à défaut de moyens financiers. Et renaître dans un monde où l’on ne peut pas compter cet enfant dans sa progéniture : il est mort avant de naître, donc il n’est pas né. Donc à ne pas comptabiliser.

Les cauchemars, la débauche, l’addiction, la recherche effrénée d’une douleur plus grande, pour me détourner du vide en moi, m’ont accaparée les années suivantes. Je me suis peut-être morfondue. Laissée aller. Mais après tout, on a bien le droit.

J’ai sombré dans l’alcoolisme, que je dois chaque jour vaincre désormais. J’ai jeté ma dignité à la face d’un monde que je vomissais, j’ai sali mon corps et mes souvenirs.

Puis j’ai trouvé quelque chose à faire. Pour le dire, le raconter, le transcender. Raconter en images, forcer à entendre avec les yeux. Et les images m’ont apaisée.

J’ai trouvé d’autres parents comme moi, et une association dans laquelle je pouvais œuvrer pour les parents endeuillés, Souvenange. Nous photographions ces bébés, avec douceur, tendresse, nous partageons avec leurs parents le secret de leur existence. Nous leur offrons une preuve douce, qui leur permettra de résister à la folie : oui votre enfant existe vraiment, quoi qu’en dise le monde.

J’ai compris grâce à ces rencontres, l’impossible deuil périnatal. Le deuil de l’enfant parfait qui jamais, ne sera mis à l’épreuve de la réalité.

J’ai rencontré un Roi, qui a créé pour moi un monde où je pouvais exulter en sécurité.

La vie trouve un chemin, et Gabriel, notre fils, notre ruisseau, nous a choisis et rejoints en 2019, clôturant un cycle de mon corps pour ouvrir une nouvelle histoire.

Autoportraits à la Nature morte est mon histoire et mon combat. Profondément optimiste et positive, j’ai la chance d’être résiliente. Mais je sais combien l’on est démuni face à cette tragédie, et je ne peux accompagner tous les parents qui traversent le deuil périnatal. Il serait bien plus efficace que le monde ouvre les yeux sur la vérité de ce deuil, de ces parents, pour qu’ils puissent à l’avenir être accompagnés, soutenus, aimés.

Françoise Chandernagor a écrit ces mots simples et très vrais : « Mais toute vie achevée est une vie accomplie : de même qu’une goutte d’eau contient déjà l’océan, les vies minuscules, avec leur début si bref, leur infime zénith, leur fin rapide, n’ont pas moins de sens que les longs parcours. Il faut seulement se pencher un peu pour les voir, et les agrandir pour les raconter. »

Rhéa ShirUdo

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