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Réveiller l’archive d’une guerre coloniale

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Un ouvrage qui nous plonge dans le métier de correspondant de guerre aux débuts du photojournalisme.

Romancier en vue de la Belle Époque, Gaston Chérau (1872-1937) est missionné par Le Matin –l’un des plus grands quotidiens parisiens – pour suivre le conflit italo-turc pour la Libye (1911-1912). Cette guerre impliquant « l’homme malade de l’Europe » mobilise les grands organes de presse qui pressentent ses conséquences sur l’équilibre européen. L’écrivain-reporter, pour qui cette expérience est inédite, emporte dans ses bagages un appareil photographique prêté par un ami. Outre ses télégrammes, le correspondant de guerre adresse à sa rédaction ses réalisations photographiques. Elles seront largement valorisées par Le Matin, davantage même que les articles pourtant écrits par une plume réputée encore en lice pour le prix Goncourt au moment de son envoi en Tripolitaine.

L’ouvrage Réveiller l’archive d’une guerre coloniale réunit l’ensemble de la documentation écrite et du reportage photographique réalisés par Gaston Chérau : plus de 200 clichés, ses articles dans le journal Le Matin, sa correspondance privée et un texte réminiscent publié en 1926 dans un recueil réunissant les plus grandes plumes du reportage (Albert Londres, Gaston Leroux…).

En nous plongeant dans le travail et le quotidien d’un reporter aux débuts du photojournalisme, cette documentation inédite et sa mise en perspective historique révèlent comment ce néophyte affronte une guerre en contexte colonial, un « ailleurs » qui le met face à la mort et à l’étranger, et est tiraillé entre sa mission de rendre compte des événements et sa manipulation par les belligérants et les journaux. Le livre dévoile comment cette expérience condense de multiples enjeux – principalement économiques, politiques et éthiques – liés à la fabrique de l’actualité. En restituant la part qui revient à chacun des protagonistes dans la construction du récit journalistique, il devient possible de mesurer la manière dont le correspondant de guerre, témoin singulier généralement peu questionné dans l’historiographie de la guerre, engage sa responsabilité.

L’attention portée aux conditions contraintes de travail du reporter et aux modalités de production et d’édition de ses photographies dans la presse quotidienne et illustrée de Paris et de province, permet de faire « parler » les images, c’est-à-dire de les rendre intelligibles. En les rattachant à un contexte, en envisageant la pluralité des lectures possibles ainsi que l’importance de leur circulation dans de nombreux organes de presse, Pierre Schill montre la complexité du système de la correspondance de guerre et de la fabrication de l’actualité. L’ouvrage est à ce titre une invitation à réfléchir aux enjeux contemporains de cette fabrique, dans un contexte de circulation instantanée des informations et des images, trop souvent hors de tout cadre d’intelligibilité.

La seconde partie du livre revient sur un croisement des regards original. Au fur et à mesure de sa découverte et de sa reconstitution, l’historien a en effet divulgué ses « trouvailles » aux écrivains Jérôme Ferrari et Oliver Rohe, au danseur et chorégraphe Emmanuel Eggermont et à la plasticienne Agnès Geoffray qui en ont proposé une interprétation dans le cadre du projet «À fendre le cœur le plus dur », un intitulé reprenant des mots par lesquels le correspondant de guerre dit à son épouse « l’épreuve de la guerre ». Ces productions originales – l’essai À fendre le cœur le plus dur (éditions Inculte 2015 et Actes Sud 2017), la pièce chorégraphique Strange Fruit ainsi que les œuvres plastiques Les Regardeurs et Les Gisants ont été dévoilées dans le cadre d’une exposition produite par le FRAC Alsace et le Centre photographique d’Ile-de-France en 2015 et 2016. Elle a fait entrer en résonance l’archive historique avec ces créations originales et les oeuvres d’autres artistes contemporains ayant abordé dans différents contextes guerriers la question du témoignage et de la violence de guerre, particulièrement au moyen du médium photographique. La seconde partie de l’ouvrage propose ainsi quatre essais revenant sur les modalités de création des artistes engagés dans ce projet pluridisciplinaire et sur l’intérêt d’un dialogue entre art et histoire au service de la compréhension du passé. Ils sont signés de l’historienne de l’art Caroline Recher, de la critique d’art Smaranda Olcèse, de l’écrivain et éditeur Mathieu Larnaudie et enfin de l’historien Quentin Deluermoz.

 

Pierre Schill, Réveiller l’archive d’une guerre coloniale. Photographies et écrits de Gaston Chérau, correspondant de guerre lors du conflit italo-turc pour la Libye (1911-1912)
Créaphis, 2018
Avec des contributions de Caroline Recher, Smaranda Olcèse, Mathieu Larnaudie et Quentin Deluermoz.
Relié, cartonné, 165 x 225 mm, 480 p., 230 photographies, plusieurs papiers de création, 35 euros.

http://www.editions-creaphis.com/

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