Rencontres de Bamako, chapitre 2 – Demeure faite de doigts d’éventails
Les Rencontres de Bamako – Biennale africaine de la photographie livrent une édition 2022 de haut vol, centrée sur « sur la multiplicité, la différence, le devenir et le patrimoine ». Notre correspondant Arthur Dayras raconte la seconde exposition organisée dans l’ancienne gare ferroviaire de la ville.
La gare ferroviaire de Bamako est un lieu iconique de la capitale malienne. Sans ses voyageurs, sans ses trains, elle suscite fascination et la tristesse. Un train reliant Bamako à Kayes donnait bien, il y a encore deux ans, son dernier souffle à la bâtisse coloniale. On reliait la capitale en 18 heures et trente arrêts. Mais l’heure de gloire de l’histoire ferroviaire malienne était la liaison Bamako-Dakar par le Dakar Bamako Express (DBK), gravée en lettres romanes sur le sol du hall de gare. Un service long de 1287 km et qui coûterait entre 800 millions et 3 milliards pour être relancé.
Il reste le bâtiment hérité du temps colonial française et qui semble, avec sa pierre jaunie, ses guichets en fer blanc, ses lettrages d’époque, ses immenses espaces sous voûtes et sa peinture jaunie, être le parfait endroit pour le temps de l’observation. L’exposition de la Biennale se trouve être là aussi scénographiée avec intelligence, les cimaises construites en croix proposant la lecture de deux artistes « dos à dos » sur le fond des murs orangés de la gare.
L’installation de Gherdai Hassell est une petite merveille à observer. L’artiste née aux Bermudes et vivant depuis lors au Royaume-Uni donne à voir un diptyque construit autour d’un leporello et une oeuvre photographique intitulée What Remains To Be Seen (2021). Au mur, les photographies entremêlent et superposent des images d’archives de la diaspora africaine pour les recomposer en de nouvelles figures, que l’artiste appelle « monuments ». Elle y mélange des visages, des cultures, des imaginaires, des trajectoires et des histoires comme pour y affirmer la puissance d’un futur formé des héritages passés. Le livre-accordéon (leporello) joue sur les mêmes tentes roses et ocre et semble tisser entre chaque page un récit plus onirique de cette vision.
Anique Jordan est une autre figure à retenir de cette seconde exposition. Sa série « Salt » forme une exploration mémorielle sur sa propre histoire familiale dans l’île de Trinité-et-Tobago. Elle immortalise en plusieurs portraits figés, assez distants, une même femme vêtue de la robe traditionnelle blanche de l’île devant des objets du quotidien : immenses casseroles en fer, étals de poisson, en cuisine ou sur le perron d’une maison. La posture figée, presque absente du modèle rappelle l’imagerie coloniale archétypale – visible et démantelé avec brio dans l’actuelle exposition Décadrage colonial du Centre Pompidou.
Les mises en scène d’Anique Jordan troublent le regard. La femme ne peut être manquée, quand bien même sa présence demeure fantomatique. Sa figure forme un point de bascule entre une nature morte et une scène de genre toutes deux impossibles. Elle dit surtout la permanence des histoires, des mémoires et des passifs et le besoin pour l’artiste de s’en saisir pour vivre.
Les Rencontres de Bamako 2022
Gare ferroviaire Bamako
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