Portrait d’un auteur à la démarche radicale qui fait figure de modèle pour de nombreux photographes à l’occasion de l’exposition à la galerie Vu et de la sortie d’un livre de conversation aux éditions Filigranes.
Stéphane Duroy est un enfant du XXe siècle, période tourmentée par deux guerres mondiales et le bras de fer qui a opposé l’Est et l’Ouest pendant près de cinquante ans. C’est pour lui une source inépuisable de réflexion et d’étude. Soulèvement de Budapest, 1956, il a 8 ans. L’Histoire éveille très tôt sa conscience. C’est le déclencheur de sa fascination pour les hommes et les événements, fascination qui l’habite encore, événements le hantent toujours. Nourri par la littérature, de Cendrars à Céline en passant par Dostoïevski, et le cinéma de Bergman et Buñel, puis celui venu d’outre-Atlantique, Stéphane Duroy devient photographe pour voyager, ou peut-être est-ce le contraire ?
À 22 ans, il arrête ses études de droit et, deux ans plus tard, après quelques voyages au cours desquels il photographie, il se décrète photographe du jour au lendemain. Il quitte très vite l’agence Sipa où l’avait accueilli Gökşin Sipahioğlu, comprenant qu’il ne pourra jamais être reporter, c’est-à-dire prisonnier des commandes et des événements. Chez Rapho, il trouve l’ennui et la routine : deux fléaux qui ont miné son enfance mais il y reste dix ans parce qu’il parvient à trouver un équilibre. D’un côté des « petites commandes », comme il dit, qui lui permettent de gagner sa vie, et de l’autre des projets personnels auxquels il consacre la plupart de son temps. En 1986, Christian Caujolle vient le chercher et il entre à l’agence Vu où il trouve une liberté totale, ce qui convient à son esprit indépendant et marginal.
Stéphane Duroy est un photographe atypique qui n’obéit qu’à ses propres règles. Son parcours photographique est éloquent : 1977-2002, série sur la Grande-Bretagne qui aboutit à la parution de Distress en 2011 ; 1979-2009 : travail sur l’Histoire et la mémoire mené à Berlin, puis en Allemagne de l’Est et en Pologne qui le conduit à réaliser L’Europe du Silence en 2000, un livre fondateur pour lui-même et pour de nombreuses générations de photographes. Dans les deux cas, plus de vingt ans de travail au cours desquels il « use ses sujets » pour ne conserver que la quintessence d’innombrables voyages effectués – plusieurs par an – pour des livres qui rassemblent à peine plus d’une vingtaine d’images chacun. Plus que les expositions, ce sont les livres qui intéressent Stéphane Duroy, objets irréversibles sur lesquels il travaille parfois pendant des années avant d’être satisfait.
Sur le terrain, Stéphane Duroy n’est pas du genre à mitrailler : il photographie avec parcimonie : « Je me crée un monde – ou un studio – et ce monde déclenche en moi un désir d’images ». Le ressenti et l’émotion sont donc la condition sine qua non de la réalisation de toute ses images, comme s’il avait besoin ou ressentait la nécessité que le réel vienne à lui. Ainsi ne réalise-t-il que peu d’images mais, ensuite, quand vient l’étape de la sélection, sa rigueur s’accentue : il va jusqu’à détruire les négatifs « qui ne valent rien ». Un geste radical. Loin de l’angoisser, l’impossibilité de revenir en arrière le stimule. Une méthode de travail qu’il répète inlassablement et qui a valeur d’engagement : ses archives de quarante ans de photographie tiennent dans une valise de format 30 x 40 cm et épaisse de 17 cm.
Parallèlement à la Grande-Bretagne où il se concentre sur l’accablement humain et les pays d’Europe où il traque les traces de la Seconde Guerre mondiale, il entame dans les années 80 un travail sur les Etats-Unis. Unknown paraît en 2007, livre tout aussi épuré que les précédents. C’est à partir d’exemplaires défectueux de cet ouvrage qu’il va, dès 2009, « se débarrasser de la photographie », comme il l’explique. Un tournant dans sa pratique. Délaissant désormais son appareil photo, Stéphane Duroy utilise ces livres comme une matière première, intervenant de diverses manières sur les pages qu’il découpe et sur lesquelles il colle d’autres photos ou des coupures de journaux, ou encore écrit ou peint, allant jusqu’à rendre certaines images méconnaissables.
Sophie Bernard
Livre
Rencontres avec Stéphane Duroy
Par Sophie Bernard
Collection Paroles de photographe, Filigranes Editions, 23 euros
www.filigranes.com/
Expositions
Stéphane Duroy
du 29/03 au 31/05
Galerie Vu Hôtel Paul Delaroche
58 rue Saint-Lazare, 75009 Paris
http://www.galerievu.com