Sorti diplômé en 2010 du London College of Communication (Université des Arts de Londres), Phillip Reed (né en 1983 au Royaume-Uni) a créé depuis plusieurs séries photographiques qui montrent son intérêt pour la sociologie et l’architecture. Phillip a développé une conscience particulière de l’espace urbain du fait d’avoir grandi dans une petite ville et de vivre à Londres depuis de nombreuses années, tout en visitant régulièrement les métropoles à l’étranger.
Les images de ses séries sur la Chine frappent le spectateur par leur composition précise, leur élégance, et leur qualité éthérée. Phillip essaye toujours de s’extirper de sa zone de confort, en explorant de nouveaux thèmes, de nouveaux espaces, de nouveaux genres, tels que le portrait, qu’il maîtrise à la perfection, ou le paysage. Il examine les manifestations de nos idées et des idéaux dans l’environnement en créant ce qu’il appelle de la «photographie documentaire conceptuelle » : des images surprenantes qui dépeignent son interprétation personnelle du monde urbain. Au cours des sept dernières années passées à travailler comme photographe indépendant, Phillip a déjà remporté le prix Hotshoe et plus récemment exposé son travail à la Biennale photo de Daegu en 2012. D’autres espaces au Royaume-Uni, en Corée, et en Chine, l’ont invité pour des expositions collectives et solos.
Marine Cabos: Est-ce que vous vous rappelez vos premières expériences de la pratique photographique ? Qui vous a influencé ?
Phillip Reed: J’ai fait mon année de préparation en art à l’université d’Hastings; durant les cours on nous a présenté une large variété de médiums et encouragé à expérimenter. Je venais juste de finir mes études de sociologie et envisageais de me lancer dans un cursus d’architecture, quand j’ai découvert la photographie ; c’était comme si j’avais trouvé tout à coup le médium capable de combiner mon intérêt pour ces deux sujets. Je me rappelle avoir été introduit au travail des Becher et de l’école de Dusseldorf, ce qui m’a vraiment ouvert les yeux sur les possibilités offertes par la photographie. J’ai toujours été intéressé par la manière dont les facteurs environnementaux donnent forme à notre expérience et à notre perception du monde et j’ai soudainement compris que je pouvais explorer ces thèmes à travers ce médium.
M.C : Vous vous définissez comme un « photographe documentaire conceptuel », ce qui pourrait paraître un peu paradoxal puisque la dimension assez personnelle du conceptuel est souvent considérée comme antithétique avec la supposée objectivité de l’approche documentaire. Pourquoi avez-vous choisi ces termes en particulier pour décrire votre pratique ?
P.R : Je trouve l’idée de produire une image qui communique objectivement l’ « essence » ou la « vérité » d’une personne, d’un moment, ou d’un endroit assez difficile à comprendre. Avec la photographie, votre point de départ est pris dans le réel, mais votre perception de ce moment et de cet espace a été largement influencée par des facteurs extérieurs. Au moment précis où vous saisissez votre appareil, vous êtes déjà en train de faire des choix, quoi inclure et quoi exclure, c’est une perspective très personnelle et le résultat de ce processus parle probablement plus de la personne qui a fait ces images que de quoi que ce soit d’autre. Cependant, je ne trouve pas que cela constitue une limite, c’est plutôt libérateur. Les photographes répugnent souvent à exprimer une opinion et cherchent à montrer les choses telles qu’elles « sont vraiment ». Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Les artistes ne semblent pas aux prises avec le même problème. J’aime les travaux qui sont personnels et expriment une opinion.
M.C : La plupart de vos photographies sont des paysages, notamment des paysages urbains. Cependant, on trouve aussi des portraits qui paraissent très intimes, comme si vous étiez vraiment très proche de ces gens. Qui sont-ils ?
P.R : Je connaissais la plupart d’entre eux. Mon frère a étudié le mandarin à Qingdao, donc il a des amis là-bas. Willa est une amie qui a grandi à Qingdao, tout comme Terry. Terry [l’homme qui regarde par la fenêtre en fumant une cigarette] a vécu en Nouvelle-Zélande pendant 7 ans et, quand il est revenu, la majeure partie de ce qu’il connaissait de sa ville natale avait disparu ou s’était transformée radicalement.À l’époque, il luttait pour retrouver un lien à sa propre culture et trouvait difficile de se faire à l’étendue de ce changement. Donc il y a une poignée d’histoires personnelles parmi ces photos. J’ai fait aussi quelques portraits de personnes que je ne connaissais pas, comme ceux sur la grand-place à Jinan.
Je trouve que la Chine est un endroit fascinant, il est difficile de ne pas penser à la phrase de William Gibson : « Le futur est déjà là – il n’est juste pas distribué très équitablement. » La Chine me fait penser à cela : certaines zones ressemblent à ce que vous imagineriez de Londres pendant la révolution industrielle, et d’autres (comme les gratte-ciels de Pudong à Shanghai) vous donne l’impression de pouvoir vous offrir un aperçu d’un futur lointain.
M.C : En octobre dernier, vous avez exposé un travail réalisé en collaboration {In Between} avec votre frère jumeau (Anthony Reed) à Shanghai, qui offre un dialogue photographique entre des images produites à des endroits multiples. Pouvez-vous m’en dire plus sur la genèse d’une telle collaboration ?
P.R : Nous sommes de vrais jumeaux et nous avons tous les deux une orientation d’esprit plutôt visuelle, donc nous avons toujours été très proches, et réalisé des projets ensemble. Quand nous étions enfants, nous dessinions ensemble, parmi d’autres choses, Anthony dessinait mieux que moi, donc je me suis tourné vers la photographie. À vrai dire, quand j’étais à LCC, dans le cadre d’un projet, on nous a demandé de considérer la manière dont Internet et les plateformes d’échange d’images, comme Flickr, affectaient la production actuelle. J’ai décidé que nous devrions tous deux ouvrir des comptes Flickr et commencer à communiquer visuellement. Nous avons expérimenté en prenant des photos au même moment, chacun à un bout du monde, mais avec dans l’idée d’échanger une série d’images. J’allais dehors et prenais des photos de scènes de la vie ordinaire londonienne que j’envoyais à Anthony. Il se rendait alors dehors à son tour et répondait à ces images avec les siennes. Nous avons continué ce processus jusqu’à ce qu’au bout d’un moment nous ayons assez d’images pour réaliser une sélection qui permettrait de donner à voir la nature de ce dialogue. Nous avons évité les monuments tels que Big Ben ou la Perle de l’Orient et décidé au contraire de nous appuyer sur des scènes tout à fait ordinaires ; nous avons également décidé d’utiliser le même objectif pour conserver une certaine cohérence. Nous avons procédé de la sorte depuis maintenant quatre ans. C’est un processus naturel pour nous, l’exposition a été une belle opportunité de montrer notre travail et d’exprimer certaines des idées derrière ce projet.
M.C : Quels sont vos prochains projets ?
P.R : Je travaille actuellement sur South of The River, un projet consacré à une zone du sud de Londres située le long de la Tamise. J’ai vécu à Londres pendant les dix dernières années, dans de nombreux quartiers (Battersea, Vauxhall, Waterloo, Elephant and Castle et Borough), et j’ai vu ces endroits changer énormément. Il y a beaucoup d’argent investi dans ces transformations. Je m’intéresse à la manière dont ces endroits ont été reconfigurés et ce qu’il en résultera en définitive. Ce n’est pas si différent de ce qui se déroule en Chine, j’imagine que je ressens le besoin de documenter/prendre part à/ répondre à ce processus.