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De Dada à l’anthropologie, Raoul Hausmann le méconnu

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A-t-on connu une trajectoire si incertaine, une fortune si malheureuse ? La question taraude jusqu’à l’absurde en redécouvrant à Cherbourg la vie et l’œuvre du photographe austro-tchécoslovaque Raoul Hausmann. En s’intéressant à sa décennie la plus créative, Le Point du Jour (à Cherbourg) et sa commissaire-associée Cécile Bargues remettent en lumière une œuvre géniale autant qu’ignorée.

Raoul Haussman demeure encore aujourd’hui bien méconnu. Une plongée dans le tumulte de sa vie n’est pas de trop. Né en 1886 à Vienne, Raoul Hausmann est le fils de deux révolutionnaires tchèques. À ses quatorze ans, la famille fuit Vienne pour Berlin. Il est formé aux arts par son père, artiste et conservateur. La photographie lui vient facilement. À bas coût, les appareils et films sont transportés en vacances, en weekend à la mer. À l’orée de ses vingt-ans, il découvre le mouvement Dada par l’entremise de Johannes Baader et entre au studio d’Erich Heckel. Il se marie une première fois, s’amuse en à-côtés avec Hannah Höch, l’une des pionnières du photomontage et rejoint les cercles intellectuels et artistiques berlinois.

Bien que relativement absent des commentaires critiques et historiques postérieurs au mouvement, il est l’une des figures de proue de Dada Berlin. Hausmann participe notamment à l’édification de la pensée philosophique du mouvement Dada en théorisant la destruction et la recomposition comme création artistique. Avec George Grosz, John Heartfield ou Richard Huelsenbeck, le photographe et penseur est à l’initiative du Club Dada, crée en 1918, où poésies, performances, lectures sont données. Touche-à-tout et curieux, écrivain autant que photographe ou éditeur, Raoul Hausmann crée les phonèmes, poèmes visuels et lyriques où les lettres sont renversées, découpées, mélangées, prononcées sans ouvrir la bouche ou bouger les lèvres. Il organise également en 1920 la première Foire Internationale Dada. Il œuvre au périodique Der Dada (1919) et améliore la technique du photomontage.

Tous conçus à la lumière naturelle, sans l’usage d’un studio ni d’une lumière artificielle, ses collages sont ingénieux. Il veut fonder sa photographie sur « une concordance des contraires » (Cécile Bargues). Contraires car ses photographies sont radicalement différentes variées. Raoul Haussmann n’est pas un expérimentateur dadaïste, recomposant dans ses collages des trompes-l’œil et scènes préfigurant l’absurde, il est plus simplement « Raoul Haussmann, photographe ». Donné en 1931, le titre témoigne tout son intérêt pour le travail photographique.

À la fin des années 20, il se prend de passion pour l’écrivain Vera Broido. Tous deux s’échappent ponctuellement de Berlin pour la mer Baltique ou la mer du Nord. Nus, ils gambadent mœurs libérées sur la plage. L’image serait aujourd’hui clichée, elle était une libération symbole d’un mode de vie bohème à l’époque. Haussmann mitraille Broido et ses clichés époustouflants sont, en comparaison des collages, loin d’être aussi complexes. Dans un lumière crue, l’abandon de sa muse est mis en scène avec simplicité ; abandon qu’on jugerait amoureux et entier. Il fige la chair massive, imposante comme élégante dans ses rondeurs. C’est là surement « la concordance des contraires » de Raoul Haussmann : ses photomontages font danser la lumière ; ses nues et portraits de pêcheurs figent immortels les émotions de l’homme.

Jusqu’ici, tout va bien. Certes, Haussmann expose peu sa photographie mais l’effervescence de Berlin lui suffit. Les ennuis commencent avec la montée du nazisme. Dès 1936, l’Allemagne nazie publie la liste d’« art dégénéré ». Cubistes, dadaïstes, expressionnistes, surréalistes ou Bauhaus, les artistes sont brimés, persécutés, parfois emprisonnés. Leurs œuvres saisies et détruites. Haussmann est le treizième d’une liste en comptant des dizaines d’autre. Il fuit aussitôt à Ibiza. Dans la précipitation, il n’emporte ni œuvres ni archives. Tout reste à Berlin, beaucoup seront détruites ou perdues.

Ibiza est encore reculée du monde. Île paysanne fermée aux échanges et à l’économie capitaliste, elle semble être un refuge propice. Il s’isole dans ses collines et se penche sur les fincas, maisons rurales et fermes agraires qui peuplent les l’Île Baléare. Il conçoit ces habitations comme « apatrides », fruit des cultures et des migrations longues de plusieurs siècles, produits intemporels de l’utilitaire agraire et des confluences architecturales. Pour Hausmann, il y a là bien davantage que dans le Berlin Bauhaus, la véritable architecture moderne. « Raoul Haussmann, architecte », écrira-t-il dans ainsi dans Revue d’Anthropologie.

Les Baléares ne durent qu’un an. L’île est la première à tomber aux mains des franquistes. Engagé dans l’armée républicaine, il combat un mois et connaît une défaite amère et brève. Il se rend à Zurich, en passant par l’Italie mais est dénoncé par un architecte conservateur pour sa pensée anarchiste. À nouveau prié de faire ses bagages, Haussmann pose ses valises à Prague dans la même année. Il souffle sur la ville un vent de liberté. Les cercles artistiques sont bien accueillis. Haussmann retrouve son ami Moholy-Nagy et connait la première exposition monographique de son vivant (Musée des Arts Décoratifs de Prague). En 1938, Prague comme le reste du pays est envahi par la Werhmacht. Une fois reprise par les Soviétiques en 1945, l’œuvre d’Hausmann demeurera longtemps oubliée dans les archives du musée. La propagande s’inverse, son œuvre en pâtit. Comble de l’absurdité, le régime soviétique lui retire sa nationalité tchèque pour punir ce peuple, qui en partie, soutint le régime nazi.

Haussmann se réfugie à Limoges, il est interné dans un camp, s’en échappe et reste dans la ville. Il y mourra en 1971, dans le club-photo modeste de la ville. Paradoxale existence que celle d’Hausmann à Limoges ! Logé dans un HLM par l’État français pour réparation de guerre, Ruiné, il reçoit miraculeusement les dons d’anciennes amitiés comme Gropius. La santé s’en mêle, il devient quasiment aveugle et pourtant continue ses photocollages avec des bouts de cartons colorés. Oublié en France, jamais exposé de son vivant, incompris par la population locale, il persiste à fréquenter ce même photo-club de la ville. Il semble coupé du monde, délaissé par tous et pourtant correspond avec les anciens dadaïstes et Guy Debord. Inventif comme curieux, il donnera à Fluxus son nom. « Quelle vie ! », résumerait-on simplement.

Après sa mort, quatre musées continueront à révéler son œuvre. Le Musée Départemental d’Art Contemporain de Rochechouart, la Berlinische Galerie (Berlin), le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne et le Centre Pompidou, à Paris. L’exposition au Point du Jour est à voir ! Cherbourg tient là un trésor photographique. Un trésor qui voyagera en 2018 au Jeu de Paume. Paris, enfin, l’exposera pour la première fois.

 

 

Arthur Dayras

Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à Paris.

 

Raoul Hausmann – Photographies 1927-1936
Du 24 septembre 2017 au 15 janvier 2018
Le Point du Jour
109, avenue de Paris
50100 Cherbourg-en-Cotentin
France

www.lepointdujour.eu

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