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Quentin Bajac –La longue marche

L’article de Quentin Bajac, Conservateur-chef du Cabinet de la Photographie, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, a pour titre « La longue marche » retrace la reconnaissance de la photographie en France depuis l’entre-deux guerres:

Faut-il le rappeler ? La reconnaissance de la photographie comme discipline artistique a été en France lente à se mettre en place. Jusqu’au début des années 1970, la photographie comme l’estampe restaient en France l’apanage des Bibliothèques et plus particulièrement de la Bibliothèque nationale, dont l’activité du département des Estampes dans ce domaine remonte à l’immédiat après-guerre avec l’action de Jean Adhémar et Jean Prinet, des services d’archives, et des musées des Techniques – musée des Arts et Métiers plus spécialement.

Pourtant le débat n’était pas récent. Dès les années Trente un certain nombre d’amateurs avaient attiré l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité d’une telle institution, notamment au sein de ce qui était à l’époque l’organisation la plus active en France dans ce domaine, la presque centenaire Société française de photographie. Les diverses commémorations de l’invention de la photographie qui eurent lieu dans les années 20 et 30 furent l’occasion de rappeler l’urgence d’une telle initiative. Dès 1925 le grand collectionneur Gabriel Cromer G. publiait dans le bulletin de la SFP, « Il faut créer un musée de la photographie », article qui en quatre points, annonçait ce que devrait être le futur musée de la photographie. Peine perdue : à la mort de Cromer, sa veuve n’arrivera même pas à convaincre les pouvoirs publics de faire l’acquisition de sa collection, dont les nombreux incunables des débuts de l’histoire de la photographie auraient pu servir de socle à une collection nationale. En 1939, quelques semaines avant l’entrée en guerre, la collection Cromer sera achetée par une institution américaine, la Georges Eastman House.

A l’époque où aux Etats-Unis le Museum of Modern art ouvrait un département de photographie et où d’autres institutions, du San Francisco Museum of Modern Art au Metropolitan Museum of Art commençait à inscrire des photographies sur leurs inventaires, la situation française était singulièrement en retrait. Dans un pays pourtant jacobin et centralisateur, dans lequel la reconnaissance passe souvent par l’action des pouvoirs publics et de l’Etat, celui-ci s’est montré longtemps réticent à reconnaître la photographie comme uns discipline artistique pleine et entière. A l’exception de la remarquable activité déployée par la Bibliothèque nationale à partir de l’immédiat après-guerre, tant dans la préservation et l’acquisition de fonds anciens (collections Gilles, Sirot) que dans le soutien à l’activité photographique contemporaine (avec notamment de 1946 à 61, la tenue d’un salon annuel de photographie contemporaine, le salon de la Nationale), l’état est longtemps resté en retrait dans ce combat. Pendant plus de quarante ans, c’est essentiellement de province, d’initiatives privées ou publiques locales que s’est manifesté cette reconnaissance artistique de la photographie : à Bièvres avec la création en 1960 du premier musée de photographie née d’une initiative du Photo-club de Bièvres, soit un cercle amateur ; à Châlon-sur-Saône où il fallut attendre le début des années 1970 pour voir s’ouvrir, autour de la figure de Niépce, le musée éponyme-on notera qu’à la même période en Angleterre s’ouvrait un musée consacré à la figure d’un autre inventeur, Talbot ; A Arles enfin où l’action conjointe de quelques photographes et épris de photographie, autour de Lucien Clergue et Michel Tournier marquait la création des Rencontres en 1969 et, ce faisant, renforçait l’action du Musée Réattu dans ce domaine. A ces initiatives il conviendrait sans doute d’ajouter celle de la firme Kodak et de la création, dans les années soixante, de son « musée de la photographie » dont une partie devait en 1983 rejoindre les collections du musée d’Orsay.

Il fallut en effet attendre la fin des années 1970, pour que la photographie obtienne droit de cité dans les deux grandes institutions qui se mettaient alors en place, le Musée national d’art moderne (ouvert en 1977) et le musée d’Orsay (ouvert en 1986 mais dont la mission de préfiguration commence en 1979) : à son ouverture au milieu des années soixante-dix, le Musée national d’art moderne ne comptait dans ses collections que de rares photographies, qui n’étaient pas le fruit d’une politique d’acquisition volontariste mais bien le résultat de legs ou de dons. Idem au musée d’Orsay.

Prenant la suite d’institutions préexistantes, le nouveau MNAM, au sein du bâtiment à l’architecture futuriste du Centre Beaubourg, comme le musée d’Orsay, installé dans l’ancienne gare éponyme, témoignaient alors d’une même volonté de renouveler les approches traditionnelles des périodes respectives, et d’élaborer des établissements qui ne soient pas seulement des musées des Beaux-Arts mais de véritables institutions culturelles, capables d ‘écrire une histoire de l’art plurielle, ouverte à d’autres courants et d’autres disciplines que ceux précédemment abordés. A cet égard, le projet du MNAM n’est pas sans évoquer le projet élaboré par Maurice Besset en 1961, celui d’un « lieu « total », où toutes les expressions artistiques de notre siècle trouveraient une place : cinéma, art théâtral, photo, architecture, au même titre que la peinture et la sculpture ». Pour le musée national d’art moderne, inséré dans le nouveau contexte global du centre d’art et de culture que représente le Centre Beaubourg, comme pour le musée d’Orsay, les projets mis au point au cours des années 1970, entendent non seulement signifier la fin d’une approche trop franco-française de l’art, dominée au XXe siècle par la seule Ecole de Paris et au XIXe par l’Impressionnisme, mais également trop monodisciplinaire- d’où l’importance nouvelle accordée à l’architecture, aux arts décoratifs, au design comme à la photographie ou au cinéma : au musée national d’art moderne, les grandes expositions pluridisciplinaires historiques (Paris/Berlin, Paris/New York, Paris/Moscou ou l’Apocalypse Joyeuse), organisées entre 1977 et 1984, sont la meilleure illustration de cette double évolution. En 1986, à l’ouverture du musée d’Orsay, la place faite à la photographie, art réaliste, comme à l’art le plus pompier, participaient, paradoxalement, dans deux directions très différentes, de cette même volonté d’ouverture à une autre façon d’écrire l’histoire de l’art.

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