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« Puits Noir & Photographie »

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Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault

Nous avons tous, un jour ou l’autre, entendu parler des innombrables et invisibles trous noirs qui représenteraient la plus grande part de la masse supposée de notre univers connu. Ces phénomènes brillent par l’absence de lumière qui les caractérise. Pour les amoureux de la lumière que nous sommes, précisons que l’explication plausible est l’absorption et la concentration de la matière à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Drôle de signature que celle qui est supposée exister sans être visible, Saint Thomas, n’est pas loin ! Il existe bien des étrangetés qui ne sont que supposées, avec une activité ; mais dont nous mesurons les effets et l’intérêt effectif qu’après beaucoup d’incertitudes. Pour l’anecdote, nous venons juste d’apprendre que l’un de ces cachottiers – de trous noirs – aurait été, pour la première fois, photographié par le dernier bijou télescopique expédié dans l’espace il y a quelques jours. Vive la photographie qui fixe la disparition totale de la lumière !

C’est un peu dans le même ordre d’idées que se sont créés les blockchains, une sorte de système totalement dématérialisé qui permet de transmettre ou de verrouiller des informations plus ou moins confidentielles sur une ligne numérique dédiée. Le système comprend des types de niches permettant à l’individu lambda de réaliser des opérations mirobolantes. L’intérêt de ce système opérationnel, uniquement derrière un écran, réside dans un pseudo anonymat des opérations réalisées dans les méandres du circuit et hors des organisations naturelles ou sociales de la planète. La première mise en place et en service, actuellement la plus importante procédure réalisée sous ce système, est incontestablement la création de monnaies numériques artificielles. Ces joyaux (Bitcoin, Ether et Cie) devaient permettre des échanges (genre troc) plus souples et sans aucune contrainte (sauf mémoriser un mot de passe incontournable). Vous connaissez la suite, c’est l’une des plus rocambolesques spéculations, tellement vertigineuse et absolument irrationnelle que les escroqueries en cours risquent de faire basculer l’ordre psychologique de l’humanité.

Ce petit avant-propos me semblait indispensable pour installer l’ambiance et comprendre ce que les œuvres photographiques sont allées faire dans cette galère trouée. Le NFT (non fongible token ou jeton non fongible) permet d’identifier réellement un ensemble numérique virtuel (virtuel étant employé hors de son sens, je préfère impalpable). Business, business, tout le monde (du fric et de la spéculation cela s’entend) se précipite et s’extasie devant cette nouveauté qui ferait tomber du ciel (celui de Dieu le père) une manne, attendue avec avidité. Le sérieux bémol, c’est que l’abondance pécuniaire ne provient pas d’un travail effectif ; mais, d’une totale spéculation. Le top qui m’amuse est l’arrivée dans ce circuit de bouteilles de vin virtuelles qui circulent  ; et voient leur prix sortir des limites, sans sortir elles même de l’écran. Cela évite à ces précieux flacons insaisissables d’être cassés, de prendre un coup de chaud et d’être secoués. Il est promis par l’initiateur que de vraies bouteilles seront échangées lors de la mise hors circuit de ces clones imaginés.

Les créations contemporaines n’étaient pas à l’abri de cette vague réductrice. La photographie s’est empressée d’essayer de conquérir la première place (comme si dans l’imaginaire et le phantasme le nombre de places était limité !). Quantité de pseudo créateurs qui n’ont pas suffisamment confiance dans leur travail pour le confronter à leur public, se sont engouffrés dans cet univers magique. Un fichier de la photographie est installé sur un serveur (en réalité une multitude) et il est verrouillé par un codage qui permet au détenteur du code d’accès de revendiquer sa propriété sur cette œuvre. Rappelons que cette photographie est totalement immatérielle et elle n’est imaginable qu’à travers l’interface d’un écran. Je vous laisse imaginer que le petit génie de la création qui n’arrive déjà pas à maîtriser un appareil photographique correctement est capable d’une maîtrise des blockchains. Qu’en est-il des règles de sécurité ? Qui reste propriétaire des droits moraux ? Combien d’originaux dans la pagaille informatique mondiale ? Comment garantir les transferts et les utilisations éventuelles ? Comment éviter les piratages qui sont également des formes de créations issues de personnes bien plus douées que la plupart des auteurs de photographies, même pompeusement baptisées œuvres ? Qui détermine le véritable intérêt de telle ou telle création ? Etc. Nous voyons déjà tellement de n’importe quoi dans l’image matérialisée d’aujourd’hui, je vous laisse imaginer l’appauvrissement de cet inexorable nivellement par le bas. L’attirance vers le haut se limitant aux comptes en banques (heureusement souvent fictifs, eux aussi), des managers de gogos.

Pour en terminer, l’origine de cette chronique me vient d’un ami qui a un garçon d’une quinzaine d’années et qui a découvert incidemment une activité fébrile chez son adolescent. Après avoir mené une petite enquête et discuté avec son rejeton, il a découvert que ce dernier était devenu un spécialiste avisé du marché de l’Art NFT. Ce courtier en herbe, achète régulièrement et avec discernement financier, des œuvres fictives (street graffitis, photographies, dessins, etc.) à des auteurs en mal de reconnaissance, pour les revendre, au maximum dans les deux mois, en multipliant les prix par trois. Vous l’avez compris, l’opération se fait uniquement par transfert de code. N’importe quoi à n’importe qui, pour n’importe où à n’importe quel prix.

Quel monde de rêves et d’ambition que la numérisation communicante ? Je ne vous évoque même pas le DarkNet (le côté obscur de la chose).

Thierry Maindrault, 17 juin 2022

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